Littératie et apprentissage sociaux et émotionnels par la poésie

« Je t’ai trouvé !»

Pour quiconque a déjà joué à la cachette, tout peut changer lorsque quelqu’un prononce ces mots magiques. Et comme dans les meilleures parties de cache-cache, savoir où et comment voir réellement toute la personne et non pas seulement des orteils qui dépassent d’un rideau nous oblige à prendre le temps d’apprendre à regarder comme il faut.

Qu’est-ce que la littératie émotionnelle ?

Une partie de cache-cache avec les émotions de l’autre : voilà en quoi consiste la littératie émotionnelle. Elle englobe l’ensemble des compétences et des outils dont nous avons besoin pour nous voir réellement entre nous en tant qu’êtres humains. Nous apprenons à lire les expressions, les contours et les rides des visages aimés. Nous décodons les larmes, les sourires et les inflexions de voix. Mais comme tout autre type de littératie, celle-ci requiert de l’entraînement afin de parfaire cet ensemble d’habiletés sur lequel repose un savoir-faire admirablement fonctionnel. Au fil des parties de cache-cache, nous affinons nos outils et il devient de plus en plus facile de trouver la personne dans son intégralité.

Voilà pourquoi je suis tombé amoureux de ce que peut apporter la poésie, particulièrement en éducation. Car enseigner, c’est œuvrer dans le domaine des êtres humains, les aider à s’épanouir jusqu’à ce qu’ils deviennent des individus aptes à vivre de la façon la plus personnellement authentique et significative qui soit, tout en s’intégrant au tissu social formé de milliards d’autres personnes qui s’efforcent de faire exactement la même chose au même moment. La poésie constitue, j’en suis persuadé, la meilleure façon d’acquérir les compétences de base qui permettent de reconnaître les signaux sociaux, d’y réagir et d’en arriver petit à petit à voir les autres réellement. Lorsqu’on parvient à se voir mutuellement, on a accompli la première moitié du travail. La seconde moitié consiste à s’ouvrir à la symbiose qui nous amène, en tant qu’animaux sociaux dotés de sentiments, à comprendre, à interpréter et à influencer l’existence de l’autre d’une multitude de façons.

La poésie, fondement de la littératie sociale et émotionnelle

On considère souvent la poésie comme quelque chose de très particulier. Elle a tendance à rappeler aux gens le temps où il fallait s’astreindre à analyser des poèmes rédigés par des hommes blancs morts depuis des lustres et issus d’une époque et d’un contexte vers lesquels il n’est pas facile de jeter des ponts aujourd’hui. On m’a déjà affirmé que la « vraie poésie », c’était I Wandered Lonely as a Cloud (en français, Les Jonquilles) de William Wordsworth. Pendant une semaine, en classe, j’ai appris des mots complexes, découpé des syllabes avec minutie et interprété le symbolisme des jonquilles dans ce poème écrit par le fils, décédé en 1850, d’un comte anglais. J’avais 11 ans quand l’enseignant nous a déclaré que c’était ça, de la poésie.

Il ne fait aucun doute que l’étude des classiques a toujours sa place. Mais j’estime qu’en raison de ce qui définit la poésie, celle-ci trouve toute sa pertinence lorsque nous l’utilisons comme unité ou expérience d’apprentissage pour enseigner les fondements de la littératie émotionnelle. La poésie est un langage imprégné d’un contenu et d’un contexte d’émotions. Interactive et interprétative par nature, elle revêt de nombreuses formes. Elle se prête à l’écriture, à la présentation visuelle, à la création parlée, au slam, à la performance ; elle devient musique ou paroles de chanson ; se transforme en éloge, en offrande artisanale ou en histoire racontée à la faveur d’un feu de camp ; se glisse dans le langage corporel. Dès que la communication repose sur un vécu émotionnel et que quelqu’un consent à interagir avec l’objet de cette communication, la poésie entre en jeu. Dès que vous ressentez quelque chose et que vous partagez ce vécu fondé sur les sentiments avec une personne qui vit elle aussi des expériences affectives, vous êtes poète. Cet échange fait de la poésie un système de valeurs axé sur la réciprocité et propice à la littératie émotionnelle lorsque vous cherchez et accordez une valeur à ces vécus émotifs partagés, et tissez des liens entre eux.

Les films de l’ONF ou la poésie visuelle en classe

Songeons un instant à la poésie visuelle. Les films, les comédies musicales, les spectacles, les courts métrages et même les messages publicitaires sont conçus pour susciter un dialogue guidé par les émotions, et cela, sans égard au temps, à l’espace ou aux écrans. Faut-il réfléchir longtemps pour que le souvenir d’un film qui nous a semblé particulièrement touchant nous revienne à l’esprit ? J’avoue qu’à l’occasion, même certaines publicités m’émeuvent aux larmes. Le cinéma est une poésie visuelle parce qu’il raconte une histoire, mais il lui faut établir une interaction avec nous pour engendrer une expérience affective. Le film de l’ONF La vie en Rosie est un poème visuel d’exception. Cette œuvre d’animation nous plonge dans la nature même de la poésie et des récits qui nous atteignent et font de nous la personne que nous sommes. Quoi de mieux pour discuter avec les élèves de ce que peut être la poésie ? Les multiples émotions que suscite le film sont autant de points d’accès qui nous invitent à nous en rapprocher parce que le vécu, les circonstances ou le contexte dépeints nous rejoignent. En proposant aux élèves une expérience de poésie visuelle comme celle-ci, nous laissons libre cours à l’entrecroisement des poèmes gravés en chacun des êtres humains rassemblés en classe.

Peu importe à quel moment de l’année scolaire cela vous convient, je vous demande instamment de voir en la poésie non pas le témoin d’une époque révolue, mais une invitation à entendre, à valoriser et à célébrer la polyphonie des récits et des voix. Chaque élève le mérite, au même titre que l’adulte qui l’accompagne sur ce chemin. Tout le monde est poète. Toute personne est un acte de poésie en ce qu’elle est la somme des expériences vécues avec lesquelles elle souhaite voir les autres interagir. C’est ce qui fait de la poésie la parfaite occasion d’enseigner la littératie émotionnelle, en classe et au-delà. Plus qu’une simple unité d’apprentissage, la poésie est une vision du monde. Enseignez aux élèves à jouer à cache-cache avec les émotions dissimulées. Apprenez-leur ce qu’il faut chercher pour repérer les sentiments que recèlent les textes, les dessins et les récits des personnes de leur entourage. Amenez-les à comprendre que leur vécu émotionnel a toute sa place, et que la partie la plus formidable de ce jeu de cache-cache est celle où quelqu’un les voit. Enseignez-leur à faire preuve d’empathie, de bienveillance et d’égards pour l’autre. Voilà ce qu’est la poésie. C’est pourquoi en votre qualité de personne humaine dotée d’un vécu, de sentiments, de sollicitude et d’une aptitude au dialogue, vous formez peu à peu votre littératie émotionnelle. C’est pourquoi vous êtes la poésie.

Mike Johnston est fier d’enseigner à l’école publique. Enseignant primé de poésie internationale et fervent défenseur de cet art, il pratique lui-même la création parlée et est champion de slam. Il est également l’auteur du guide pédagogique You Are Poetry, qui propose au personnel enseignant, aux élèves et au personnel administratif une multitude d’activités, d’idées, d’anecdotes et d’appuis pour permettre à vraiment tous les publics de bénéficier de la force de la poésie et de la littératie émotionnelle.

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