Au Chic Resto Pop ou la genèse d’un documentaire musical | Perspective du conservateur
À l’approche de la période des fêtes, l’esprit est au partage, à l’entraide et à la solidarité, surtout quand il est question de venir en aide aux plus démunis de notre société.
Les nombreuses guignolées qui sont en cours un peu partout au Québec et dans d’autres provinces depuis la fin du mois de novembre en témoignent. Mais, comme nous le savons tous, la pauvreté ne frappe pas seulement pendant un mois. Elle est là toute l’année. Plusieurs organismes la combattent tous les jours. C’est le cas du Chic Resto Pop.
Ce restaurant « socialement responsable[1] », comme il se décrit lui-même, œuvre dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal depuis 1984, offrant des repas nutritifs et de qualité à prix modique à ceux qui sont en situation d’insécurité alimentaire. Mais, au fil des ans, le Chic Resto Pop est devenu bien plus que cela ! Il est désormais « une entreprise d’insertion socioprofessionnelle, d’économie sociale et un organisme d’action communautaire[2] ».
En 1990, la cinéaste Tahani Rached lui a d’ailleurs consacré un documentaire extraordinaire qui vaut la peine qu’on s’y attarde un peu.
Genèse d’un projet
À la fin des années 1980, la cinéaste originaire d’Égypte, alors installée au Québec depuis une vingtaine d’années, travaille sur une idée de documentaire sur la pauvreté. Son attention se porte rapidement sur Hochelaga-Maisonneuve, un quartier de Montréal durement touché par cette réalité. Elle consulte les statistiques, interroge des spécialistes sur la question, rencontre quelques intervenants dans le quartier sans pourtant y trouver le film à faire.
Mais quand elle découvre, au coin des rues Joliette et Adam, dans le sous-sol de l’église du Très-Saint-Rédempteur, un restaurant, le Chic Resto Pop, fondé depuis peu par un groupe de bénéficiaires de l’aide sociale, qui sert des repas de qualité à prix modique, préparés à partir des surplus alimentaires des restaurants et des commerces des alentours, son film se précise. Coup de chance : la cinéaste retrouve aussi une amie qu’elle a perdue de vue depuis de nombreuses années, Annie Vidal, une des instigatrices du projet du Chic Resto Pop ! Le contact sera ainsi plus facile à établir.
Les naufragés du rêve
À partir de septembre 1988, Tahani Rached renoue avec Annie, fréquente régulièrement le restaurant et y fait la connaissance de ses employés : Philippe, qui s’occupe de la récupération et de la « run de truck » ; Diane, la cheffe de production de la cuisine ; Guy, le responsable des soupers ; Marie-Jeanne, aussi responsable de la récupération ; Pépé Roger, le caissier ; André, le pâtissier ; Daniel, qui fait l’entretien ; Marie-Pierre, qui travaille au sein de l’administration ; et Jacinthe, la directrice du service alimentaire. Des personnages attachants que nous retrouverons tous dans le film, qui, pour l’instant, dans la tête de la documentariste, s’intitule Les naufragés du rêve.
Documentaire musical
« Mais comment parler de ces gens, des difficultés qu’ils ont traversées et qu’ils traversent encore, sans tomber dans la complaisance, le prêchi-prêcha ou le misérabilisme ? Comment apporter un éclairage nouveau sur un sujet déjà très médiatisé ? Comment traduire les aspects novateurs et excitants de l’aventure de cette bande de joyeux naufragés ? » s’interroge la cinéaste. La réponse à ces questions viendra un matin alors qu’elle remarque que, dans les cuisines du Chic Resto Pop, la radio joue toute la journée et que plusieurs employés chantent. « Et si je leur demandais de chanter leur vie plutôt que de la raconter », pense-t-elle.
C’est ainsi que naît l’idée d’un documentaire musical. Tahani Rached fait donc appel aux services de l’auteur-compositeur-interprète Steve Faulkner (Cassonade), qui s’occupera de la composition des musiques. Les participants écriront les paroles, avec l’aide de Faulkner, et choisiront le style musical pour leurs chansons. Ce travail se fait de janvier à mai 1989, pendant que la cinéaste peaufine son scénario et essaie de convaincre les responsables du Comité du Programme français de lui donner le feu vert pour la réalisation de son film.
Le projet est accepté en avril. Le tournage débute à la fin du mois de mai et se poursuit pendant 20 jours. Les chansons sont enregistrées dans un restaurant, un terrain vague, un bar, les rues et les ruelles du quartier. Le film s’intitule désormais Au Chic Resto Pop.
Au Chic Resto Pop
Le résultat est à couper le souffle ! Pop, rock, blues, country, ballade : Cassonade se surpasse et fait dans tous les styles musicaux. Ses mélodies accrocheuses restent en tête. Vous chantonnerez sans doute les refrains de Ma run de truck ou de Toujours un bum après avoir vu le film. Et que dire des paroles ! Simples et profondes, touchantes, parfois bouleversantes. Pas mal pour des gens qui n’avaient probablement jamais écrit de chansons de leur vie !
Bien sûr, Au Chic Resto Pop, ce n’est pas qu’une série de chansons. Le documentaire aborde avec intelligence, dignité et sensibilité des questions importantes comme les inégalités sociales, l’exclusion, la marginalité, l’analphabétisme, les dérives et le gaspillage de notre société de consommation. C’est aussi un hommage aux personnes qui ont porté à bout de bras (et qui continuent de le faire) le projet fou d’un restaurant qui, comme le souligne Annie dans le film, « récupère les aliments et les énergies humaines qui sont mis de côté par la société ». Un lieu unique où le gaspillage des uns devient le nécessaire des autres.
Je vous invite chaleureusement à voir ce film :
Au Chic Resto Pop, Tahani Rached, offert par l’Office national du film du Canada
Merci pour ce beau cadeau ! Ca m’a donné envie de découvrir ce lieu en vrai.
Quelle humanité, quelle joie aussi qui se dégagent de ce lieu. Bravo !