Loin de Bachar : La nouvelle vie de la famille al-Mahamid
J’ai d’abord pensé Loin de Bachar comme la rêverie d’un enfant syrien qui, parachuté dans son nouveau monde, est habité à la fois par la guerre et par l’appel d’une nouvelle vie.
Je voulais faire un film sur la pensée. Filmer la pensée comme si c’était un territoire avec des habitants, des animaux, des fleurs et des arbres. J’ai longtemps cherché cet enfant à Montréal, au moment où le Canada était encore largement fermé aux réfugiés. J’ai demandé à beaucoup de monde. Finalement, j’ai trouvé toute une famille : les al-Mahamid, avec Adnan, Basmah, Ali, Basel, Raniah et Saja.
J’ai été frappé par leur histoire. Par la trajectoire de militant d’Adnan et par son parcours ici à Montréal, son engagement social, sa foi en l’avenir. J’ai vu aussi la force des enfants, leur vivacité et leur désir d’être ici. La présence et le courage de Basmah. Je me suis dit que mes idées du début pouvaient prendre corps dans cette famille tout entière. Bref, je me suis reconnu en eux.
Rapidement, le projet s’est mis en place et ils m’ont ouvert la porte de leur appartement. Avec eux, j’ai souvent filmé sans toujours comprendre ce qui se disait puisque je ne parle pas arabe, me fiant aux mouvements du corps, aux gestes d’affection. Je filme Raniah à l’école avec son frère Basel. Ils avancent dans la vie de toutes leurs forces. Saja observe beaucoup ses parents et devient ainsi une sorte d’alter ego du documentariste.
Entre les murs de l’appartement familial, il y a beaucoup de vie. Il y a aussi la vulnérabilité, la douleur, la peur pour les proches restés en Syrie. Je me dis que nous ne connaissons rien de cette guerre. Que notre ignorance est indécente. Que la répression du régime est d’une violence inouïe. Ils vivent cela au quotidien tout en devant construire leur nouvelle existence. En les filmant, j’ai envie de leur rendre hommage en montrant leur courage, leur humanité et l’amour des uns pour les autres.
Certains jours, la souffrance est plus grande, plus présente. Adnan vit le douloureux anniversaire de son arrestation et de son emprisonnement dont chaque instant est soudainement présent à son esprit. Ces jours passés prennent toute la place. Nous parlons. C’est la scène de début du film. En improvisant, il parle doucement à Ala, son ami resté en prison. Il évoque ses frères. Sa parole est d’une grande beauté, d’une grande profondeur.
Il me donne aussi accès à ses écrits. Quand je lui demande pourquoi il a accepté de participer au film, il me répond : « Parce que nous sommes de bonnes personnes. ». Je comprends alors qu’il fait allusion au racisme et aux stéréotypes que sa famille et lui doivent régulièrement affronter. S’ils m’ont ouvert leur porte, c’est aussi pour modifier ces perceptions.
Loin de Bachar ne changera pas le cours de la guerre en Syrie. La portée du film se trouve peut-être dans l’ouverture qu’il pourra créer en chacun de nous.
Visionnez Loin de Bachar :
Loin de Bachar, Pascal Sanchez, offert par l’Office national du film du Canada