Retour sur le film Les événements d’octobre 1970 | Perspective du conservateur
Le lundi 5 octobre 1970, au matin, quatre membres du Front de libération du Québec (FLQ) se présentent à la résidence de James Richard Cross, l’attaché commercial de la Grande-Bretagne à Montréal. Armé, l’un des ravisseurs somme la bonne, qui vient d’ouvrir la porte, de lui indiquer où se trouve M. Cross. En quelques minutes, le diplomate est menotté puis enlevé dans une voiture.
C’est le début d’une crise politique sans précédent au Québec. Une suite d’événements dramatiques, tragiques qui marqueront à jamais l’histoire politique du Québec et du Canada. C’est la crise d’Octobre.
Retour sur les événements
La cellule Libération du FLQ, qui détient Cross, fait part, la journée même, de ses exigences au gouvernement fédéral, par la voie d’un communiqué. Elle exige la publication dans tous les journaux du Québec d’un manifeste et la remise en liberté d’une vingtaine de prisonniers qualifiés de « politiques », en échange de la libération de son otage. Le lendemain, le gouvernement fédéral annonce qu’il rejette les demandes du FLQ, mais se montre ouvert à la négociation et accepte de diffuser le manifeste sur les ondes de Radio-Canada. Le 8 octobre, le présentateur de nouvelles Gaétan Montreuil en fait la lecture à la télévision. Deux jours plus tard, le ministre de la Justice du Québec, Jérôme Choquette, annonce que le gouvernement fédéral est disposé à accorder un sauf-conduit aux ravisseurs, mais refuse de libérer des prisonniers. Moins d’une heure après cette annonce, plusieurs médias montréalais rapportent un second enlèvement par une autre cellule du FLQ, la cellule Chénier. Cette fois, c’est Pierre Laporte, le ministre québécois du Travail, qui est séquestré. La crise prend soudainement une ampleur insoupçonnée.
Le 12 octobre, le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, accompagné de tous ses ministres, se réfugie à l’hôtel Reine-Elizabeth à Montréal, sous haute surveillance policière, afin d’éviter un autre enlèvement. M. Bourassa annonce l’ouverture de négociations avec le FLQ et mandate l’avocat Robert Demers pour les mener à terme. Demers organise une première rencontre avec son confrère Robert Lemieux, qui représente le FLQ. Le 13 octobre, l’armée canadienne commence à se déployer à Ottawa autour des ambassades et des édifices gouvernementaux. Le lendemain, des soldats arrivent à Montréal et prennent la relève des policiers dans la garde de certains immeubles jugés à risque.
Pendant ce temps, 16 personnes influentes de la société québécoise de l’époque, regroupées autour de René Lévesque, proposent d’épauler le gouvernement Bourassa dans ses négociations avec le FLQ, négociations qui, déjà, commencent à battre de l’aile. Le 15 octobre, les discussions entre le représentant du gouvernement et celui du FLQ sont rompues. Le 16 octobre, le gouvernement canadien, alors dirigé par Pierre Elliott Trudeau, proclame, à la demande du gouvernement québécois et de la Ville de Montréal, la Loi sur les mesures de guerre, prétextant qu’il existe un état d’insurrection appréhendé au Québec. Cela conduira à l’arrestation sans mandat et à la détention de près de 500 personnes. Le lendemain de la promulgation de la loi, le corps du ministre Pierre Laporte est retrouvé sans vie dans le coffre d’une voiture, près de l’aéroport de Saint-Hubert. La crise prend soudainement une tournure tragique.
Au début du mois de décembre, cernés par les policiers qui ont découvert l’endroit où est détenu James Richard Cross, les ravisseurs acceptent un sauf-conduit pour Cuba en échange de la libération de leur otage. Cross est libéré, sain et sauf. Quant aux kidnappeurs et assassins de Pierre Laporte, ils seront arrêtés à la fin décembre, après plusieurs semaines de cavale.
Un film sur la crise d’Octobre
Cinquante ans plus tard, les débats autour de la crise d’Octobre restent polarisés et les opinions, souvent tranchées. La sortie sur ONF.ca du documentaire Les Rose (2020) de Félix Rose et les réactions qu’il suscite le démontrent bien. On imagine sans difficulté que les discussions, quelques années seulement après les événements, devaient être tout aussi passionnées. Un film sur la crise était-il possible à ce moment-là? Qui plus est dans un organisme fédéral comme l’ONF dont le mandat est de favoriser l’unité nationale? La réponse est oui! Et ce film s’intitule Les événements d’octobre 1970 (1973) de Robin Spry.
La genèse d’un film
Le matin du 16 octobre 1970, quand le cinéaste Robin Spry écoute la radio, tout en préparant son petit-déjeuner, il apprend avec stupéfaction, comme bon nombre de ses concitoyens et concitoyennes, que la Loi sur les mesures de guerre est en vigueur au Québec depuis minuit la veille. L’apparition de soldats un peu partout dans les rues de la ville de Montréal a vite fait de le convaincre de la nécessité de filmer ce qui se passe. Il propose aussitôt à l’ONF l’idée de capter sur pellicule les événements qui se déroulent, sans trop savoir s’il y aura un film au bout. À sa grande surprise, le commissaire de l’époque, Sydney Newman, accepte le projet, à condition qu’une équipe française et une équipe anglaise participent au tournage.
Cette décision est étonnante sachant qu’à la même époque, ce même commissaire interdit la sortie de trois films de la production française jugés trop subversifs dans le contexte de la crise — On est au coton (1970) de Denys Arcand, Cap d’espoir (1969) de Jacques Leduc et 24 heures ou plus (1973) de Gilles Groulx — et qu’il refuse le projet de fiction sur Octobre de Michel Brault, qui deviendra Les ordres (1974).
Trois équipes de tournage
Quoi qu’il en soit, le soir même, trois équipes de tournage prennent forme, deux francophones et une anglophone, composées d’une trentaine de personnes en tout. Elles installent leur quartier général dans un hôtel du centre-ville. Les équipes sont présentes partout et filment les événements tels qu’ils se présentent : dans les conférences de presse, les stations de radio de Montréal (qui recevaient généralement les communiqués du FLQ), les salles de presse, dans les communautés anglophone et francophone, et à la sortie du parlement d’Ottawa. Une équipe de tournage s’est même présentée, bien avant l’arrivée des policiers, près de l’aéroport de Saint-Hubert, l’endroit où a été retrouvée la voiture qui contenait le corps de Pierre Laporte.
Film cherche cinéaste
Après le tournage, le projet de film est mis sur la glace. La direction de l’ONF préfère attendre la fin des procès des quatre felquistes responsables de l’enlèvement et de la mort de Laporte avant de prendre une décision quant au matériel tourné. De plus, Robin Spry pense qu’il revient à l’équipe française d’en faire un film. Pourtant, après avoir visionné tout le matériel, la direction du Programme français et son directeur Jacques Godbout jugent qu’il serait très difficile d’en tirer quelque chose.
En revanche, les réactions de certains anglophones à la crise, captées par la caméra de Spry, pourraient faire un bon documentaire. Quelques mois plus tard, le cinéaste obtient du financement et entame le montage de ce projet. Mais il se rend rapidement compte qu’un film sur les réactions aux événements d’Octobre n’a de sens que s’il en existe d’abord un sur la crise comme telle. Il décide donc d’utiliser l’argent qui lui a été accordé pour faire deux films : Les événements d’octobre 1970 (1973) et Reaction: A Portrait of A Society in Crisis (1973), offert en anglais seulement.
Je vous invite à voir Les événements d’octobre 1970. Spry a voulu s’en tenir à l’essentiel et nous faire revivre le déroulement des faits. Ce parti pris historique aurait pu en faire un documentaire didactique et ennuyeux, mais c’est tout le contraire. La juxtaposition des images tournées par les équipes française et anglaise au moment de la crise, des images d’archives provenant de la CBC et de la SRC, et de la narration sobre, lue par le cinéaste lui-même dans la version originale anglaise, est magistrale. De plus, le film propose une mise en contexte de 23 minutes au début, qui, à elle seule, vaut le détour!
Les événements d’octobre 1970 , Robin Spry, offert par l’Office national du film du Canada