Sur la corde raide : dans les coulisses d’un moment historique
Les quelques jours que j’ai passés en Afghanistan en 2011 pour réaliser un documentaire au sujet du Royal 22e Régiment pour l’ONF m’ont beaucoup marqué. Nous avons passé sept jours outside the wire, c’est-à-dire sur des bases avancées à des dizaines de kilomètres de Kandahar. Plus on s’éloignait de Kandahar Airfield (KAF), plus la situation semblait absurde.
D’une part, il y avait KAF, une gigantesque base aérienne de la taille de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, qui recevait plus de 100 000 litres d’eau par jour (quand j’y étais, c’est Coca-Cola qui fournissait l’eau embouteillée), pour les 40 000 à 50 000 personnes qui y travaillaient. D’autre part, il y avait les Afghans qui devaient faire trois kilomètres à pied pour s’approvisionner en eau.
Malgré la flagrante différence entre agresseur et agressé (je vous laisse le choix de décider qui est qui), les forces de la coalition, près de 20 ans après les attentats du 11 septembre, n’arrivent toujours pas à contenir ou vaincre « l’ennemi ».
Cette situation est à la base du documentaire Sur la corde raide. Le but du film n’est pas de prêcher à des convertis ou même des experts ou des étudiants en politique internationale, mais plutôt de soulever des questions chez le spectateur. À la veille de l’invasion de l’Irak en 2003, les yeux rivés sur CNN, je me demandais sérieusement si j’étais le seul à comprendre qu’il n’y avait pas là-bas d’armes de destruction massive. Pourtant, on essayait de nous convaincre du contraire. Quelle était donc la véritable raison d’envahir un pays déjà dévasté par plus de dix ans de sanctions ?
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Entre parenthèses, j’ai toujours trouvé curieux qu’on ait rarement parlé de terrorisme avant la chute du communisme. La recherche pour ce film m’a fait comprendre que l’industrie de guerre avait tellement d’importance dans l’économie américaine qu’on a toujours habilement réinventé sa raison d’être.
La CIA, par exemple, aurait carrément menti quant au nombre d’armes nucléaires soviétiques afin d’en exagérer la menace, justifiant ainsi une augmentation du budget de la « défense », qui s’élève aujourd’hui à près de 800 milliards de dollars (A People’s History of the United States, 1980, Howard Zinn). Pourtant, le président sortant Eisenhower avait, en 1960, sonné l’alarme en ce qui concerne « le complexe militaro-industriel ». Est-ce qu’on se demande toujours qui est véritablement à la barre des États-Unis ?
Dominic Desjardins, producteur exécutif à l’ONF à l’époque, avait accepté que je fasse une étude au sujet de l’invasion de l’Irak. L’ex-ambassadeur du Canada aux Nations Unies Paul Heinbecker a été la première personne que j’ai contactée. Nous avons parlé pendant 45 minutes lors de notre première rencontre téléphonique et il m’a avoué qu’il était surpris que personne, jusqu’à ce jour, n’ait eu l’idée de faire un film à ce sujet, en racontant l’histoire du point de vue des coulisses du gouvernement canadien et des Nations Unies.
J’ai découvert, à mon grand étonnement, l’importance de l’influence du Canada, à l’époque, sur les pays membres du Conseil de sécurité. La Maison-Blanche aurait même essayé de se débarrasser de Heinbecker, comme elle l’avait fait avec d’autres ambassadeurs récalcitrants.
Ont suivi des rencontres tout aussi fascinantes avec MM. Claude Laverdure et Edward Goldenberg, conseillers du premier ministre Jean Chrétien à l’époque. Nous avons eu la chance de rencontrer M. Chrétien à deux reprises. Les entrevues avec Karine Prémont et Chantal Hébert ont clarifié davantage les propos, et ma rencontre avec le Dr Miloud Chennoufi a été déterminante dans le développement du scénario.
J’ai fait la connaissance de M. Chennoufi lors d’une conférence à l’Alliance française de Toronto. Nous avons pris un café ensemble, puis un deuxième. Il m’a grandement éclairé sur la politique étrangère en général, mais surtout sur l’histoire du Moyen-Orient. C’est un dossier complexe et c’est vraiment grâce à lui que j’ai eu la confiance nécessaire pour m’asseoir devant mes interlocuteurs dans le film.
Je tiens à remercier Dominic Desjardins et Denis McCready, qui ont produit le film, ainsi que l’équipe de l’ONF, et tout particulièrement le monteur Boban Chaldovich.
P.-S. De peur de déplaire aux États-Unis et de fragiliser l’équilibre économique entre nos deux pays, près de la moitié de la population canadienne aurait préféré sacrifier des vies, celles des membres de nos Forces armées et celles d’innombrables Irakiens. « On parle d’aller tuer du monde », comme le dit si bien Paul Heinbecker. Mais aujourd’hui, c’est sur notre territoire que ça se joue. Le Canada, en fermant sa frontière avec les États-Unis pour maintenir son intégrité et protéger ses citoyens, se voit à nouveau danser sur la corde raide. Mais cette fois, c’est avec un gouvernement américain dangereusement imprévisible et sans scrupules.