Notes d’espoir : Où sont allés tous ces gens?
Comme 2020 est à la fois une année bissextile et l’amorce d’une nouvelle décennie, le Mois de l’histoire des Noirs revêt une importance toute particulière. J’aime y voir l’occasion d’une réflexion individuelle et collective, d’une célébration, d’une libération et d’une réalisation de soi.
Mais chaque année, la fin de février soulève dans mon esprit cette question tenace : Qu’allons-nous reporter aux dix prochains mois de l’année après avoir partagé les expériences et les récits de la diaspora noire par l’intermédiaire de la musique, des livres, des expositions d’art, des ateliers, de la danse, des forums de discussion, du cinéma et du théâtre ?
On a présenté Notes d’espoir au Festival Hot Docs en 2017. Le film brosse un portrait vivant de la communauté de Villaways, située dans le secteur nord-est de Toronto, qui devra déménager en raison de la revitalisation imminente du quartier. Francine Valentine, une jeune fille noire de douze ans perspicace et remplie de compassion, nous introduit dans le récit. Nous sommes en avril 2017 lorsque commence la démolition, et le projet se trouve maintenant à la troisième année de mise en œuvre. Je me suis récemment rendu dans le quartier, histoire de jeter un coup d’œil aux transformations en cours et de prendre quelques photos. J’ai conversé avec Francine, maintenant âgée de dix-sept ans, et elle m’a fait part de ses réflexions.
Charles Officer : Est-ce que tu as eu le temps de réfléchir à ce qu’a signifié pour toi la revitalisation, et certaines de tes questions sont-elles restées sans réponse ?
Francine Valentine : Je n’ai pas vraiment de questions restées sans réponse au sujet de la revitalisation. J’aurais seulement aimé qu’ils soient plus honnêtes avec nous, plus ouverts à propos du processus. Je me suis efforcée de m’adapter à un nouveau mode de vie et j’ai bien sûr eu le temps de réfléchir à mon expérience de la revitalisation. J’ai vécu à Villaways de l’âge de quatre ans à l’âge de quinze ans. J’ai réfléchi à la façon dont je vivais avant et j’y repense toujours, parce que je suis encore en train de m’adapter à une nouvelle situation.
Charles Officer : Tu as maintenant quelques années de plus, alors que dirais-tu à ton moi de douze ans à propos du processus de revitalisation ?
Francine Valentine : Reconnais la valeur de la communauté à laquelle tu appartiens et de l’endroit d’où tu viens. Essaie de garder le contact avec tout le monde, parce qu’il n’est pas facile de s’adapter à une nouvelle communauté.
Charles Officer : Quels effets — négatifs et positifs — la revitalisation a-t-elle eus sur toi ?
Francine Valentine : Pour ce qui est des effets positifs, la question est vraiment difficile. Je dirais que ça m’a forcée à m’adapter à un nouvel environnement et à d’autres personnes. En ce sens, j’apprends à socialiser. Le secteur dans lequel nous vivons à présent n’est pas catalogué, même si nous habitons dans des logements sociaux, comme on les appelle. Nous n’avons pas été réinstallés dans un complexe de logements communautaires, donc sur ma rue, les gens sont aussi bien propriétaires que locataires. Nous habitons des logements communautaires, mais ce n’est pas de notoriété publique et il n’y a pas ce stigmate du «ghetto». À Villaways, tout le monde savait que c’étaient des logements sociaux, alors il y avait des préjugés, on disait «ces gens-là n’ont aucune éducation, ils sont incapables d’élever leurs enfants et d’avoir des objectifs dans la vie». L’aspect négatif, c’est que j’ai perdu le sentiment d’appartenance à la communauté, à l’endroit où j’ai grandi et où je connaissais tout le monde. Je pouvais entrer chez les voisins, et s’il arrivait quelque chose dans notre famille, les gens se précipitaient pour venir nous aider. Je me sentais toujours en sécurité, même si certains disaient que l’endroit n’était pas sûr, qu’il était peuplé de criminels, de bandits ou je ne sais quoi.
Charles Officer : Qu’est-ce qui te manque, de la communauté de Villaways ?
Francine Valentine : Franchement, c’était un quartier agréable, surtout parce que nous n’avions pas d’auto. Nous n’avions pas ce moyen de transport, mais tout était à portée de main. On pouvait se rendre partout — le médecin, le dentiste, l’épicerie —, c’était toujours proche. C’était aussi un bon lieu de vie si notre revenu n’était pas élevé. Tout était moins cher et plus abordable. Un produit acheté au magasin No Frills coûtait peut-être dix dollars de moins que si on l’achetait au centre-ville où j’habite maintenant. Et je me répète, mais ce qui me manque, c’est cette communauté.
À la suite de mon entretien avec Francine, je m’accorde un moment pour réfléchir à ce parcours du combattant qu’on a imposé aux résidents de Villaways. Des émotions complexes remontent à la surface, par exemple de la colère à l’égard des fonctionnaires pour les mauvais traitements flagrants encore une fois infligés à une communauté dont les membres sont en majorité noirs. De la défiance, lorsque je vois certains de ces mêmes fonctionnaires le sourire aux lèvres dans les soirées qu’organise BHM, et que je les entends parler de leur engagement à soutenir les communautés à faible revenu. Je m’interroge : est-ce qu’ils se demandent où sont allés tous ces gens ?
Puis, je suis inspiré par la nature résiliente de Francine et par sa vision du monde. Par le fait de la voir rayonner d’espoir lorsqu’elle parle de terminer ses études secondaires et peut-être d’étudier le travail social à l’université l’an prochain, malgré tous les obstacles. Grâce à sa capacité d’introspection, Francine me laisse un immense sentiment de gratitude. Elle m’a dit : «L’endroit d’où tu viens importe tout autant que celui où tu vas.»
VISIONNEZ NOTES D’ESPOIR :
Notes d’espoir, Charles Officer, offert par l’Office national du film du Canada