#MonONF : Le merle de Norman McLaren
Quelque part dans un bel appartement tout clair, c’est l’anniversaire d’une petite amie. Nous avons bien joué, bien mangé, et, mystérieusement, nous voilà tous assis par terre devant un grand écran blanc perché sur une patte.
On se regarde, avec nos minois de cinq ans, on se retourne: une drôle de machine à grosses roues vient de se mettre en mouvement, ça fait vrrrrrrrrrrr. Jamais vu un truc pareil. Ça doit être le clou du spectacle. Mais non, c’est devant que ça se passe! Tout à coup, une musique éclate de joie et un invraisemblable oiseau danse de toutes ses pattes sur l’écran à patte.
« Mon merle a perdu ses pattes, mon merle a perdu ses pattes. » On est tous bouche bée. « Mon merle a perdu son bec, mon merle a perdu son bec, une patte, deux pattes, trois pattes, merleau! »
On voudrait danser avec lui, on voudrait lui rendre toutes ses pattes, et puis surtout son bec, le rafistoler, le réconforter, le ramasser, l’embrasser. Mais voilà, il s’éclate, cet oiseau, dans son fol éparpillement, il est bien plus fort que nous!
Toujours il se récupère et repart de plus belle, comme si de rien n’était, sur son rythme effrené. Il saute, il cabriole, on s’amuse. Du fond de notre petite tête, on se souvient qu’on le connaît, cet oiseau-là.
C’est juste qu’on ne l’avait encore jamais vu. Mais la comptine du merle, il y a longtemps qu’elle est nôtre. C’est la chanson des petits. De tous les petits: les petits enfants, les petits oiseaux, et les petits pains et ceux qui ne veulent plus être faits pour eux. Les petits qui traînent de l’aile, et ceux pour qui ils retombent sur leurs pattes.
Mon merle, c’est notre merle à tous, c’est toi et moi, mon amour, c’est la myriade de nos instants perdus enfin rassemblés, c’est notre envol sur fond de ciel bleuté. C’est mes yeux de cinq ans avec lesquels je te vois déjà. Tchiquitchiquitchi… trop vite la bobine est finie, le film aussi.
Aujourd’hui, bien des années plus tard, je regarde Le merle de Norman McLaren avec le même bonheur, sur mon téléphone. On n’oublie jamais son premier film.
Le merle, Norman McLaren, offert par l’Office national du film du Canada
Originaire de Montréal, elle a vécu en Outaouais, avant de s’installer au Mexique, où elle enseigne l’anthropologie et travaille en milieu autochtone. Elle est tombée toute jeune dans la « potion magique » de l’ONF, car sa mère était hôtesse au pavillon de l’ONF à l’Expo 67 et a collaboré à quelques scénarios de films. De l’ONF, Dominique Raby apprécie tout particulièrement la virtuosité en animation et l’engagement envers le monde autochtone. Elle a grandi parmi les livres qui accompagnent toujours sa vie.