La part du diable : un documentaire poétique pour réfléchir aux révoltes et aux enjeux sociaux du Québec des années 1960 et 1970
La poésie québécoise comme témoin des changements sociaux
La part du diable, Luc Bourdon, offert par l’Office national du film du Canada
Dans La part du diable, de Luc Bourdon, lorsqu’on entend Pauline Julien réciter le poème de Roland Giguère La main du bourreau finit toujours par pourrir, le ton nous est donné : « la grande main qui nous cloue au sol finira par pourrir […] et nous pourrons nous lever pour aller ailleurs ». À lui seul, ce vers illustre avec force les révolutions qui traverseront le Québec des années 1960 et 1970. Il décrit également le passage d’une époque vers une autre : celui de la Grande Noirceur vers la Révolution tranquille.
La « main du bourreau » dont parle Giguère peut ainsi incarner les différentes élites économiques, linguistiques, culturelles et religieuses qui gouvernent alors la province, celles qui font naître chez ses citoyens un sentiment d’injustice et de révolte. Devant les nombreuses inégalités dont ils sont témoins, les Québécois rêvent d’une société plus juste et militent pour mettre fin à l’exploitation des uns par les autres. Bien sûr, ces nombreux changements ne se sont pas toujours faits sans heurt et la société a dû s’adapter à ces nouvelles réalités. La part du diable est donc l’occasion d’aborder avec vos élèves cette période clé de l’histoire du Québec et de discuter avec eux du chemin parcouru depuis.
La part du diable : des archives cinématographiques au service d’un documentaire poétique
Deuxième long métrage documentaire de Luc Bourdon, La part du diable raconte ces transformations en assemblant de courts extraits de près de 200 films produits par l’Office national du film du Canada, entre la fin des années 1960 et le début des années 1980. Grâce à ce procédé, le réalisateur propose un discours sur l’histoire à travers son montage, opposant différentes scènes dans le but de faire réfléchir le spectateur sur l’évolution de la société québécoise depuis cette époque de bouleversements sociaux et d’éveils politiques.
Ce film constitue donc pour le personnel enseignant un point de départ pour de nombreux sujets de débat qui marquent encore notre époque : quel héritage la Révolution tranquille a-t-elle laissé à la société québécoise d’aujourd’hui? Comment l’identité québécoise s’est-elle transformée depuis lors? En plus de proposer un regard sur l’histoire du Québec, La part du diable prend aussi position sur les enjeux, les contradictions et les revendications qui l’ont traversée.
Le montage : un art du discours
C’est aussi l’occasion pour vos élèves de réfléchir sur le pouvoir du montage. Comment l’art et le cinéma nous permettent-ils d’interpréter l’histoire? Comme La part du diable est un film qui s’appuie sur l’assemblage de documents d’archives, le cinéaste oppose différents types de scènes, d’images et de sons afin de créer dans l’esprit du spectateur une façon de lire ces archives et de les interpréter.
Commençons par un exemple simple : entre la neuvième et la onzième minute, le réalisateur alterne les images de la vie d’une famille inuite avec celles d’ouvriers affairés à exploiter les ressources naturelles du Grand Nord au moyen d’un ensemble de machines bruyantes. Selon vous, quel sens est produit par l’association de ces deux groupes de plans? La vie paisible que mènent les personnages que l’on voit dans un premier temps ne s’oppose-t-elle pas au vacarme et à la froideur de la machinerie lourde? Que peut-on déduire de cette opposition visuelle et auditive?
Dans un film, le montage permet au spectateur d’interpréter certaines images et certains sons en fonction de ce qui les suit ou de ce qui les précède. Ces images, prises à part, peuvent signifier en elles-mêmes un concept, mais si on les combine à d’autres, de nouvelles idées surgissent. Ces idées permettent au spectateur de réfléchir, de comprendre et d’interpréter ce qu’il a devant les yeux, comme dans cet extrait du film où l’industrie est présentée comme une menace pour les habitants du Nord, simplement en alternant la quiétude de la vie de famille avec le vacarme produit par une industrie imposante.
Voici un autre extrait à visionner avec vos élèves : de 58 min 27 s à 1 h 4 min 35 s, le cinéaste présente des images du Carnaval de Québec, d’un concert musical interprété par des musiciens en costumes d’époque et d’un groupe de jeunes filles enthousiastes qui enfilent à tour de rôle des manteaux de fourrure devant lesquels elles s’émerveillent.
Le cinéaste enchaîne immédiatement avec des images de la coupe à blanc d’une forêt, puis d’une manifestation où des policiers s’avancent, menaçants, devant des gens rassemblés pour protester. Le réalisateur utilise d’abord des images associées aux loisirs et au divertissement, puis brise cette atmosphère légère avec des images plus agressives, accentuant la naïveté et la candeur des scènes précédentes. Sur les pas réguliers des policiers, on juxtapose le chant d’un rigodon, comme pour mieux signifier la fierté et la volonté d’un groupe qui n’a pas peur de lutter pour ses revendications.
Avec vos élèves, n’hésitez pas à trouver d’autres extraits qui exploitent les mêmes procédés. Vous pouvez même appliquer cette méthode à l’ensemble du film. Que cherche à exprimer le réalisateur? Que nous dit le film au sujet de ces révoltes populaires? Sentez-vous que le film lance un message d’espoir ou de désespoir?
La part du diable est un film qui cherche à laisser au spectateur la liberté de l’interpréter. Il constitue une excellente occasion de présenter à vos élèves une œuvre riche et profonde qui leur demandera d’utiliser leur créativité et leur sensibilité. Ils pourront ainsi réfléchir à ce que l’histoire du Québec peut leur apprendre sur eux-mêmes tout en découvrant une forme d’expression cinématographique hors du commun.
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