Nouveauté sur ONF.ca : Labrecque, une caméra pour la mémoire
À l’occasion de la mise en ligne de son documentaire Labrecque, une caméra pour la mémoire, relisez notre entretien avec Michel La Veaux, réalisateur, directeur de la photographie et (surtout) « homme de lumière », réalisé au début de 2018.
Marqué par une grande complicité, cet hommage au grand Jean-Claude Labrecque transmet un regard humaniste et passionné sur le cinéma, la culture et l’histoire du Québec.
Labrecque, une caméra pour la mémoire, Michel La Veaux, offert par l’Office national du film du Canada
Que représente Jean-Claude Labrecque pour vous? Pourquoi lui avoir consacré un film, plutôt qu’à Michel Brault ou Gilles Groulx, par exemple?
ML : Il y a deux monstres sacrés de la caméra au Québec, c’est Michel Brault et Jean-Claude Labrecque. Ce sont mes héros depuis que je suis jeune. Quand j’étudiais le cinéma, j’ai même eu la chance d’avoir Brault et Groulx comme professeurs invités au Cégep! Ça a été un choc très positif pour le reste de ma vie. Je n’ai jamais voulu être réalisateur… Contrairement aux trois quarts de la classe! Je voulais être directeur de la photographie.
Il y a deux ans, les Rendez-vous du cinéma québécois organisaient un hommage à Jean-Claude Labrecque et son fils, Jérôme, m’a demandé d’aller sur scène pour parler de son père. C’était un honneur! J’ai pu lui rendre hommage en tant qu’homme d’images, parler de ce qu’il représente pour moi, qui ai eu la chance d’avoir eu un modèle québécois… Un Maurice Richard du Kodak!
Mais pendant que je parlais, j’ai réalisé une chose : Ce discours serait éphémère. Un long métrage, ça reste. Il fallait que je fasse un film sur Jean-Claude! Qu’un homme de caméra – plutôt qu’un réalisateur – fasse un film sur un autre homme de caméra me semblait plus juste. On parle le même langage.
Votre vision de l’homme et de son travail a-t-elle évolué au cours du tournage de Labrecque, une caméra pour la mémoire?
ML : Jean-Claude est mon inspiration. Jeune, j’ai eu la chance de travailler avec lui à trois reprises en tant qu’assistant à la caméra. Il avait une joie de vivre et une folie du cinéma, comme moi. Je le connaissais donc bien avant de tourner ce film, et je l’aimais déjà beaucoup – je l’aime toujours beaucoup! Je voulais que ça se ressente dans le film. Je voulais que lui, en avant, et moi, en arrière de la caméra, soyons en connivence et que le spectateur en soit conscient.
Vous dites faire du « cinéma documentaire » et non du « documentaire ». Que voulez-vous dire par là? Quelle est la nuance?
ML : Depuis presque 30 ans maintenant, je travaille avec la lumière, avec des caméras. Je suis un homme de cinéma. Je ne réalise pas pour réaliser. J’ai un rapport affectueux avec les personnes que je filme. Je ne veux pas faire des films sur des « sujets » ou des « dossiers », mais sur des humains. Je n’ai donc pas une démarche de documentariste, je travaille avec le cœur avant la tête.
Si vous deviez choisir une seule œuvre de Labrecque qui vous a particulièrement touchée ou inspirée, laquelle choisiriez-vous?
ML : C’est trop difficile! Si je considère « Jean-Claude, le directeur photo » : les images de La vie heureuse de Léopold Z (1965) de Gilles Carle sont les plus impressionnantes. De composer avec la pellicule de l’époque, très peu subtile, les tournages de nuit, la neige… C’est un travail magnifique. Aussi, Le chat dans le sac (1964) de Gilles Groulx.
De « Jean-Claude, le réalisateur », j’avoue que je capote sur La visite du général de Gaulle au Québec (1967) – il maîtrisait la situation de A à Z! – et sur Marie Uguay (1982), un de mes films préférés. De capter l’âme et la dignité de cette femme poète en si peu de temps, c’est vachement fort. Côté fiction, je pense que son plus grand film est Les Vautours (1975).
La vie heureuse de Léopold Z, Gilles Carle, offert par l’Office national du film du Canada
Comment décririez-vous le métier de directeur photo?
ML : Un vrai directeur photo propose une réflexion, à travers l’image, sur ce qu’il y a à dire dans le scénario – ou dans le réel si on parle de documentaire. Il doit établir un rapport avec la personne devant la caméra, s’impliquer, aller chercher le droit d’être proche d’elle; c’est un travail humain. Labrecque a développé une méthode de travail qu’il appelle « à hauteur d’homme ». Je viens de cette école : la technique, c’est secondaire.
La responsabilité d’un directeur photo est d’aller plus loin que les mots qui sont dans le scénario. De faire en sorte que le plan, la prise de vue, l’éclairage, deviennent le langage le plus pertinent pour servir l’histoire à raconter.
Quel est votre élément de prédilection en matière de langage cinématographique?
ML : J’aime beaucoup les beaux mouvements de traveling… Mais il y a toujours une scène qui m’interpelle plus particulièrement, et je me surprends souvent à proposer au réalisateur de la tourner avec ma caméra à l’épaule. Même si c’est une grosse caméra 35mm! Je veux être proche de l’actrice ou de l’acteur, en connivence avec eux, je veux aller chercher leur âme!
J’aime travailler les lumières qui favorisent l’âme de l’histoire et des gens. Qu’il s’agisse de fiction ou de réel, Michel Brault et Jean-Claude Labrecque nous ont montré à utiliser intelligemment la technique pour aller chercher le meilleur de l’humain, du côté humaniste de l’histoire.
Quel conseil donneriez-vous à un(e) jeune étudiant(e) ou aspirant(e) directeur(trice) photo?
ML : Avant de t’énerver avec quarante lumières et toute la technique derrière, commence par observer. En te levant le matin, regarde la lumière à travers ta fenêtre, dans ton appartement, observe-la le soir, le plus souvent possible. Après, au moment de tourner, essaie d’éclairer avec une seule lumière. Si tu n’avais qu’une seule source de lumière à ta disposition pour créer un plan magnifique et pertinent, où la placerais-tu? C’est un des plus beaux conseils que Michel Brault m’a donné, et je l’utilise toujours aujourd’hui!
Pour terminer, auriez-vous une suggestion d’œuvre à voir absolument pour mieux comprendre cette vocation, où la direction de la photographie est impeccable et inspirante?
Les Ordres (1974) de Michel Brault. L’histoire, les acteurs, la caméra, la technique, la lumière… Forment un tout, et ce qu’il y a de plus juste. Pour moi, c’est le plus grand film qui n’ait jamais été fait ici. Un film politique, mais tellement humain et grand… J’ai un regard très humaniste sur les acteurs et les histoires. Mes collègues sont tous fous de Mon oncle Antoine (1971) de Claude Jutra, mais pour moi, ce n’est pas aussi puissant, aussi vrai, que Les Ordres. C’est le film que j’aurais aimé faire.
Labrecque, une caméra pour la mémoire est une production de l’ACPAV en collaboration avec l’ONF.