Je veux marier Leonard Cohen en 1965
C’est un documentaire qui se déroule juste avant que Leonard Cohen ne retourne en Grèce rencontrer Marianne, la maitresse disparue à qui il a consacré une des plus belles chansons d’amour de notre époque, et dont le décès récent a causé tout un émoi chez les admirateurs de longue date du chansonnier romantique.
Mesdames et messieurs, M. Leonard Cohen, Donald Brittain et Don Owen, offert par l’Office national du film du Canada
C’est en 1965, et Cohen est en pleine forme. Après avoir vendu plus de 120 000 copies de son roman, il se consacre nonchalamment à la promotion de son livre et de ses poèmes, alors qu’il fait la tournée des universités et qu’il récite des vers de son cru. Immédiatement, le charisme désormais légendaire de ce montréalais se fait sentir dans la pièce. Une histoire aussi simple qu’absurde à propos d’un petit séjour dans un hôpital psychiatrique, et les rires fusent de partout. Simultanément, le jeune poète inspire la révérence et l’hilarité; on l’écoute nous bercer avec ces mots aussi imprévisibles que réconfortants.
C’est un petit coquin, ce Cohen, fier et conscient de soi, mais frivole et sincère à la fois. Dans le même documentaire, il explique comment les évènements universitaires représentent pour lui surtout des occasions de conquête sexuelle, il explique que les oiseaux de nuits forment une rébellion contre l’ordre des choses. Il parle d’un rapport plus sincère avec les chiens qu’il flatte depuis qu’il a arrêté de manger de la viande, après avoir manifesté son dégout pour les pièces détachées d’animaux impossibles à identifier qu’on vend dans les boucheries.
Un paradoxe intriguant du génie, c’est qu’il nous échappe quand on le surveille de près. Alors que les caméras de l’ONF suivent Léonard Cohen dans son bain, en train d’acheter des journaux, en train de boire ou d’écrire, en pleine fête ou en contemplation méditative devant des illustrations, on ne peut pas nécessairement trouver la formule reproductible de son talent : il écrit quatre à cinq heures par jour, mais encore? Il voyage à Cuba pendant la crise des missiles, mais il y écrit à propos du Canada. Il ne lit presque pas de romans, il écoute surtout de la musique pop, et son parcours académique est une série de succès contradictoires plutôt que complémentaires. C’est un poète insaisissable.
Et pourtant il nous captive. En 1965, il était charismatique, hilarant, chaleureux et brillant. Aujourd’hui, alors qu’il annonce la parution d’un nouvel album, You want it darker, on réalise que l’amour du public pour ce musicien immense n’a pas faibli, que cette flamme est aussi forte qu’à la première écoute de pièces comme Everybody knows, Suzanne et Halleluja.
Quand il a appris que Marianne quittait ce monde, Cohen lui a adressé une lettre, avouant qu’il la suivrait bientôt. Il est tellement proche d’elle, écrit-il, que si elle lui tend sa main, il pourrait peut-être la toucher. Mais le jour où ça se produira, Cohen peut être assuré que nous serons nombreux à tendre la main vers le vide, en espérant pouvoir, encore une fois, être touchés par le génie unique de cet irremplaçable géant.
Pardonnez le sentimentalisme ridicule et les larmes naïves. C’est tout à fait absurde. Leonard Cohen ne mourra jamais. C’est le privilège de ceux qui redéfinissent la vie en la décrivant avec autant de force et de finesse.
I’m sorry Mr. Cohen, but you don’t get to die. It’s not your call.
So long, Leonard.
une direction photo du regretté Roger Racine, CSC. Un pionnier de l’ONF et premier directeur photo canadien-francais