À la mémoire de René Jodoin, pionnier de l’animation québécoise (1920-2015)
C’est avec regret que nous apprenions le 22 janvier dernier la disparition d’une grande figure de l’ONF : le producteur, cinéaste et fondateur du Studio d’animation français, René Jodoin, à l’âge vénérable de 94 ans.
Les formes géométriques et la musique auront jalonné son parcours de réalisateur. Mentor pour toute une génération de cinéastes, ce pionnier de l’animation québécoise a contribué à définir le caractère avant-gardiste de notre cinéma et à le faire rayonner à travers le monde.
Parcours fascinant d’un cinéaste visionnaire
Dès sa sortie de l’École des Beaux-arts en 1943, René Jodoin est recruté par le cinéaste Norman McLaren. Il joint alors les rangs de la première équipe d’animation de l’Office national du film. C’est McLaren qui lui apprend le métier. Cette rencontre déterminante marquera profondément sa conception du cinéma d’animation.
Tout comme son mentor, il défendra une approche artisanale, misant à la fois sur l’expérimentation, l’innovation et le didactisme. Ils réaliseront ensemble deux films : Alouette (1944) et Sphères (1969).
Alouette, Norman McLaren et René Jodoin, offert par l’Office national du film du Canada
Sphères, Norman McLaren et René Jodoin, offert par l’Office national du film du Canada
En 1963, René Jodoin est nommé directeur du programme de films scientifiques, puis reçoit en 1966 le mandat de fonder et de diriger un studio d’animation à l’intérieur du tout nouveau Programme français de l’ONF.
Avec flair, il rassemble au sein de son équipe un solide groupe de jeunes cinéastes, parmi lesquels se trouvent Co Hoedeman, lauréat d’un Oscar en 1978 pour le mémorable Château de sable, Pierre Hébert, Paul Driessen, Jacques Drouin, Francine Desbiens. C’est alors le début d’un âge d’or pour le Studio d’animation français avec des films tels que Balablok (1973), brillante illustration de la violence par le maître tchèque Bretislav Pojar (Palme d’or du court métrage à Cannes) et La faim (1974) de Peter Foldès (Prix spécial du jury à Cannes), l’un des tout premiers films réalisés par ordinateur.
Sous son aile, les animateurs sont encouragés à repousser les frontières de leur créativité et à trouver l’expression d’un art qui leur est propre. En 1977, René Jodoin quitte la direction du studio pour se consacrer à la réalisation.
Le magicien des formes
En plus des deux films qu’il a coréalisés avec Norman McLaren (Alouette, 1944; Sphères, 1969) et de plusieurs films didactiques, René Jodoin laisse une œuvre marquante, sous le signe de l’abstraction géométrique.
Parmi ses films les plus connus, Notes sur un triangle (1966) est un pur chef d’œuvre de la technique des éléments découpés. Une captivante valse de formes géométriques colorées, dont il est impossible de détacher les yeux. Ce ballet triangulaire hypnotique est un monument de rigueur et de précision. Vous pouvez le visionner ici :
Notes sur un triangle, René Jodoin, offert par l’Office national du film du Canada
Rectangle et rectangles (1984), est un court métrage clignotant réalisé par ordinateur, pour lequel le vétéran cinéaste a obtenu la collaboration du jeune Daniel Langlois, qui allait par la suite fonder Softimage. Conçue au début de l’ère numérique, cette œuvre résolument moderne, sur une musique tribale, s’apparente à un rite de purification de la rétine par les couleurs et les formes. Une expérience visuelle audacieuse qui démontre plus que jamais le caractère unique et novateur de son cinéma.
Rectangle et rectangles, René Jodoin, offert par l’Office national du film du Canada
En 1985, René Jodoin prend sa retraite et se consacre à des expériences cinématographiques avec un micro-ordinateur. Ces travaux ont eu pour résultat, en 1998, un dernier film intitulé Entre-temps et lieu.
En 2001, il reçoit le Prix Albert-Tessier, la distinction la plus prestigieuse accordée par le gouvernement du Québec dans le domaine du cinéma, pour l’ensemble de son œuvre exceptionnelle.
En plus d’avoir contribué à l’éclosion des plus grands cinéastes de l’animation, René Jodoin laisse derrière lui un leg inestimable. Au-delà de la beauté formelle de ses œuvres, il nous offre une réflexion profonde sur le cinéma, le mouvement et le temps :
« L’idée que la finalité du cinéma serait de faire advenir dans le temps les infinies potentialités qui se cachent dans toute image. Et par extension, que toute image est infinie », comme le dit si bien Pierre Hébert dans ce vibrant hommage.
Salutations René Jodoin et merci!
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