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Tiff 2014 : Manifeste en 13 points de Michael Moore

Tiff 2014 : Manifeste en 13 points de Michael Moore

Tiff 2014 : Manifeste en 13 points de Michael Moore

Ce billet est une traduction de l’anglais. Vous pouvez lire le texte original en cliquant ici.

Nous voici chers lecteurs en direct de la Doc Conference du Festival international du film de Toronto 2014! Chaque année, ceux qui font la pluie et le beau temps dans l’industrie du cinéma documentaire se rassemblent ici pour discuter distribution, contenu, talent artistique, forme, nouvelles plateformes, tendances et orientations générales du cinéma et de la vidéo documentaire.

Doc Conference : un discours inaugural percutant de Michael Moore

Ce matin, c’est au documentariste oscarisé de réputation internationale Michael Moore que revient la présentation du discours inaugural. Nous vous présentons ici un extrait des commentaires fort intéressants du cinéaste, ainsi que son Manifeste en 13 points pour la production documentaire (un incontournable pour quiconque s’adonne à la création de récits ne relevant pas de la fiction).

Coloré, charmant, désopilant et franchement très porté sur le langage grossier (j’ai d’ailleurs jugé utile d’édulcorer certains propos, mais vous lirez aisément entre les lignes), Michael Moore fait plaisir à écouter.

Il affirme d’entrée de jeu avec une ironie désabusée que la technologie d’enregistrement portable et bon marché, par exemple la caméra du téléphone cellulaire, est à la fois « l’une des pires et l’une des meilleures choses qui soient arrivées ». Ces appareils ont bien sûr permis de retirer aux détenteurs du pouvoir et de l’argent le monopole de la technologie, mais notre conférencier prend soin d’ajouter que « ce n’est par ailleurs pas tout le monde qui devrait faire un film… chacun possède des talents différents ». Il en arrive ensuite à la question que se pose tout documentariste : qu’est-ce qui fait un bon documentaire? Ou mieux encore : qu’est-ce qui rend un documentaire tellement bon, que des tas de gens voudront payer douze dollars pour le voir au cinéma?

« Je n’aimais pas les documentaires et cela faisait partie de mes difficultés [lorsque j’ai commencé], admet Moore. Ces films portaient en général sur la nature ou véhiculaient un genre de propagande : ne fumez pas de joints, ne baisez pas et évitez de projeter votre voiture du haut d’une falaise en conduisant. »  Le contenu des documentaires s’est limité à ça durant presque tout le vingtième siècle. Mais Moore, ayant sans contredit la trempe d’un aventurier, poursuit en se portant à la défense de tous les types de récits et de la part de mystère et d’aventure qui nous attire au cinéma.

Vous voulez savoir quel cinéma documentaire vieux jeu et « traditionnel » Moore tourne ainsi en dérision? Visionnez Propagande téméraire, un film de l’ONF amusant, troublant et qui donne à réfléchir au sujet de la propagande ayant entouré la Seconde Guerre mondiale.

Propagande téméraire, Robert Lower, offert par l’Office national du film du Canada

« Je crois que Borat est un documentaire! »

Mais Moore estime que l’invention de la caméra à l’épaule a tout à coup permis aux gens comme lui de fuir devant la police [avec la caméra], ce qui a transformé à jamais le documentaire. Il souligne que de nombreux cinéastes et investisseurs ne cherchent qu’à copier la réussite de ses films. « Mais moi, j’ai toutes les audaces, déclare-t-il. Je crois que Borat est un documentaire! Tout dans ce film a été tourné tel quel. Personne n’avait de scénario. C’est ça que j’appelle un documentaire. »

Il explique alors qu’il se trouve parmi nous pour discuter des longs métrages documentaires présentés en salle. « J’adore faire de la télé, c’est une façon géniale de rejoindre les gens, dit-il. Mais je veux voir ces films au grand écran, dans l’obscurité et avec 200 étrangers. Cela crée à mon avis un impact nettement plus important que si on les visionne à la maison sur l’ordinateur ou le iPhone. »

Puis, arrive la grande question : comment se fait-il que les documentaires de Michael Moore présentés en salle engendrent d’aussi formidables recettes? « Je suis estomaqué de constater que les gens ne procèdent pas comme je l’ai fait, dit-il. Et de préciser : il est très rare que je voie un documentaire dans lequel il y a de l’humour. [Il faut] faire de la place à l’esprit, à la satire ou à l’ironie. C’est une façon géniale de toucher l’auditoire moyen, parce que les gens aiment rire. »

Et comment Moore s’y prend-il pour faire rire les gens? « Pour réaliser des documentaires, il faut être capable d’écrire, affirme-t-il. Je ne veux pas dire être un écrivain professionnel, mais savoir raconter une histoire ayant un début, un milieu et une fin. Il faut respecter le public. »

Manifeste en 13 points de Michael Moore pour la production documentaire 

1. « Le rire permet d’alléger la douleur que nous inflige ce que l’on sait être la vérité. Ne faites pas un documentaire, faites un film, enjoint Moore d’un ton sévère. Vous avez choisi cette forme d’art : le cinéma! » Il ajoute que si vous aviez voulu faire des discours, des sermons ou donner des conférences, vous seriez devenu enseignant, politicien, ou autre. « Je suis ici aujourd’hui pour sonner le glas du terme documentariste, déclare-t-il. Nous sommes des cinéastes. Scorsese ne se qualifie pas de «fictionnariste». Pourquoi faisons-nous ça? Les gens ne veulent pas qu’on les sermonne, ils veulent qu’on les divertisse. Il faut mettre l’art au premier plan. La politique est secondaire. Parce que si je fais un [mauvais] film, mon point de vue politique n’atteindra personne. Si je n’ai pas respecté le concept du cinéma, personne n’entendra un foutu mot de mes idées politiques. »

Vous croyez que notre documentaire satirique sur la colonisation Qallunaat: Why White People are Funny pourrait intéresser Moore?

Qallunaat! Why White People Are Funny , Mark Sandiford, offert par l’Office national du film du Canada

2. « Ne me racontez pas [des trucs] que je sais déjà. Ne me dites pas que l’énergie nucléaire est dangereuse, je le sais. Oui, il y a des tas de fieffés idiots en Amérique, mais cela indique qu’il y a aussi des quantités de gens qui ne sont pas stupides et qui réfléchissent. Apportez à ces gens-là de nouveaux renseignements. »

 3. « Le documentaire moderne est devenu un exposé didactique. » Moore affirme que les exposés didactiques et les travaux imposés aux étudiants les amènent à remâcher des idées toutes faites. « À quoi ça sert? demande-t-il. Il faut inciter le public à trouver lui-même, à participer à la découverte d’idées nouvelles. »

4. « Trop de documentaires ont un arrière-goût de médicament. Les gens dépensent une fortune, au cinéma : un sac de maïs soufflé à neuf dollars! crie Moore, indigné. » Neuf dollars de maïs soufflé! Tu parles, Mike. « En cas de doute, supprimez-moi » dit une affiche dans le bureau de Moore.

 5. « La gauche est ennuyeuse. Nous avons perdu notre sens de l’humour. Nous étions drôles, avant! La gauche savait rigoler au cours des années 1960! » Moore affirme que la gauche politique se doit de retrouver cet humour délibéré et ce goût de plaisanter si elle souhaite que les messages contenus dans ses documentaires atteignent un plus vaste public.

6. « Attaquez-vous aux vrais méchants. Pourquoi ne citez-vous pas de noms? » Moore est membre de l’Academy of Television Arts and Sciences et compte parmi les jurées pour l’attribution de l’Oscar du meilleur documentaire. Au sujet de la liste des candidats retenus en sélection finale chaque année, il fait remarquer qu’« il n’y a en général que deux ou trois documentaires qui portent sur un sujet lié à l’actualité du moment, à des faits qui se déroulent aux États-Unis et à un thème politique. Les gens disent : «mais je serai poursuivi» [si je cite des noms]… Oui, vous serez poursuivis! » Bon sang!

7. « Faites des films personnels », recommande celui qui paraît durant de longues périodes dans chacun de ses documentaires à succès. « Rien ne vous oblige à vous placer devant la caméra, assure-t-il. Mais les gens veulent entendre la voix [de celui qui crée le film]. » Il cite en exemple Morgan Spurlock, Bill Maher et Al Gore.

À votre avis, le récit très personnel de Sarah Polley sur les secrets de famille qui hantent son passé, intitulé Les histoires qu’on raconte, plairait-il à Moore? Si vous n’avez pas vu le film, vous pouvez visionner la bande-annonce (en anglais seulement), puis télécharger le film ou l’acheter en DVD).

Les histoires qu’on raconte, Sarah Polley, offert par l’Office national du film du Canada

8. « Pointez votre caméra sur les caméras. Montrez aux gens pourquoi les médias grand public ne leur disent pas ce qui se passe. » Moore évoque le bref portrait qu’il a réalisé d’un présentateur de nouvelles en train de se sécher les cheveux au séchoir avant d’être filmé devant le salon funéraire où se déroule le service d’une fillette de six ans tuée lors d’une fusillade. « Au fond, ça ne les intéresse pas, gémit-il. »

9. « Le public américain adore les documentaires. Regardez ce qu’on présente à la télé, dit Moore : il y a 60 Minutes, Stephen Colbert, Jon Stewart, et même Dancing With the Stars! Les gens adorent regarder Stewart et Colbert! poursuit-il. Si on n’accepte pas que le public ait besoin d’être diverti par les films, on n’a qu’à faire un autre métier! » Il est impitoyable. Mais il exprime très nettement son point de vue.

[Note de l’auteure du présent billet : À ce moment de son discours, Moore s’adresse à l’auditoire en criant et en adoptant un ton sévère et de réprimande. Et je n’exagère pas : il crie! Il n’est pas méchant, non. Il est simplement passionné, catégorique et absolument déterminé à faire valoir à la communauté du documentaire les arguments qu’il considère comme très valables et qu’il désire absolument lui communiquer. Et le public en redemande. Les éclats de rire fusent, on appuie d’une voix forte. Bref, on l’adore!]

10. « Ne filmez que les gens qui ne sont pas de votre avis. Vous apprenez tellement plus de cette façon. » Moore sait qu’il n’est pas facile de filmer ces gens-là, mais estime qu’il s’agit d’un élément essentiel au succès d’un documentaire.

 11. « Lorsque vous tournez une scène, est-ce vous vous mettez en colère? Est-ce que vous pleurez? Est-ce que vous craquez? Faites confiance à ça. Vous êtes l’auditoire. L’auditoire réagira aussi de cette façon. Il fait partie de l’équipe de tournage. »

Le récit intime d’Alanis Obomsawin sur la crise d’OKA de 1990, Kanehsatake, 270 ans de résistance, constitue un exemple convainquant de la nature personnelle du documentaire politique. Vous pouvez le visionner ici :

Kanehsatake, 270 ans de résistance, Alanis Obomsawin, offert par l’Office national du film du Canada

12. « Moins, c’est plus. Faites du montage. Coupez. Mettez moins de mots. Moins de scènes. Les gens comprennent. Ils aiment que vous leur fassiez confiance. Pourquoi la série Seinfeld était-elle la plus écoutée aux États-Unis? Parce que les créateurs de la série disaient aux gens «nous pensons que vous êtes futés «. Et ceux qui le sont moins arrivent tout de même à déceler que vous les jugez futés. Nous devons avoir un peu d’empathie à leur égard. Ils veulent être de la partie et ils si vous les traitez comme s’ils étaient futés, ils le sentent. »

13. « Le son importe davantage que l’image. Versez à la personne responsable du son le même salaire que celui que vous payez au directeur photo. Le son véhicule l’histoire. C’est également vrai dans la fiction. Si vous avez à courir alors que la police vous poursuit, la caméra sautille ». Mais le son porte l’histoire. Et c’est l’histoire qui compte.

L’avenir

Alors, voilà. Moore n’a pas mâché ses mots par moments et s’est montré plutôt critique quant à la situation actuelle du cinéma documentaire présenté en salle. Mais il a aussi fait montre d’optimisme, et son amour du cinéma en tant que forme d’art ressortait sans équivoque.

S’il a exprimé son enthousiasme à propos de l’avenir du long métrage documentaire en salle, il a néanmoins suggéré que les cinéastes gagneraient à pratiquer une certaine autocritique. « Nous blâmons les investisseurs et les distributeurs [du peu de succès des documentaires], mais nous devrions prendre quelques minutes pour nous adresser des reproches à nous-mêmes. Je veux voir de bons films au cinéma. »

À bon entendeur… Mais qu’on le veuille ou non, Michael Moore est à l’heure actuelle l’un des artisans les plus francs et les plus dynamiques du cinéma documentaire sur la planète et son discours rime avec passion, dévouement et engagement à l’égard de la « vérité », quoi que puisse signifier ce terme.

***

Références photographiques : « Michael Moore, 66e Festival de Venise (Mostra), couleur », par  Nicolas Genin – Affichées à l’origine sur Flickr sous le titre : 66e Festival de Venise (Mostra). Sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0, transmises par l’intermédiaire de Wikimedia Commons – Source

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