Sonia | Lorsque Paule Baillargeon raconte la maladie d’Alzheimer
Difficile de résister au charme de Sonia, ce court métrage de fiction réalisé au milieu des années 1980 par la cinéaste québécoise Paule Baillargeon.
Non seulement il met en vedette des comédiens bien connus et appréciés de tous : Kim Yaroshevskaya (Fanfreluche, Le matou, Passe-Partout…) dans le rôle principal, Paul Buissonneau (La boîte à surprise), Marc Messier (Broue, La petite vie) et Lothaire Bluteau (Jésus de Montréal), il aborde aussi avec sensibilité un sujet délicat : celui de l’Alzheimer, une maladie encore peu connue au moment de la sortie du film.
Lothaire Bluteau et Kim Yaroshevskaya
La maladie d’Alzheimer sur le plan humain
L’histoire est celle de Sonia (Yaroshevskaya), une femme d’une soixantaine d’années qui est professeure d’histoire de l’art et peintre. Elle est heureuse et comblée, mais éprouve des pertes de mémoire qui inquiètent son entourage, en particulier sa fille Roxanne (Baillargeon), 35 ans. Une maladie aussi sournoise que terrible vient de la frapper. C’était, autrefois, une maladie sans nom. On disait des personnes qui en souffraient qu’elles étaient tombées en enfance. Aujourd’hui, le retour à l’enfance à un nom : Alzheimer, une maladie du cerveau qui provoque la perte progressive et irréversible des facultés mentales et physiques.
Kim Yaroshevskaya et Paule Baillargeon
Au départ, ce film était une commande de l’ONF. Il faisait parti d’un programme conjoint de films sur la santé mentale initié par le Studio français. Un format de 57 minutes avait aussi été imposé, puisqu’il allait être présenté aux Beaux Dimanches à la télévision de Radio-Canada. Malgré ces limites, Paule Baillargeon a réussi un film touchant et réaliste, qui est venu toucher une corde particulièrement sensible à l’époque.
Il faut savoir qu’au moment de l’écriture du scénario, la maladie d’Alzheimer faisait les manchettes. Elle était considérée comme la « maladie du siècle », « pire que le cancer », selon un article paru dans La Presse en 1984. Sachant qu’aucune mention de la maladie n’était présente dans l’édition de 1981 du Petit Larousse, on comprend que le sujet était plutôt récent et qu’il se trouvait sur toutes les lèvres.
Claire Boyer, alors membre du comité de sélection de l’ONF, avait soulevé une inquiétude face au sujet lors de sa lecture de la première version du scénario :
Je me demande à qui [ce film] s’adresse (…). Et j’ai le cœur un peu serré à la pensée que les spectateurs des Beaux Dimanches, les plus âgés d’entre eux en tous cas, vont s’identifier à Sonia, paniquer peut-être, devant leurs pertes de mémoire, qu’ils ne pourront différencier de celle décrite dans le film (…).
Comme quoi, même si le film se voulait réconfortant face à la maladie, en nous montrant une relation mère-fille tissée serrée, certains craignaient tout de même l’effet contraire.
Paule Baillargeon dans le rôle Roxanne, la fille de Sonia
Sonia est le premier film réalisé par Paule Baillargeon suite au succès de La cuisine rouge, qui a vu le jour en 1980. Il a été co-scénarisé par la cinéaste et la dramaturge américaine Laura Harrington. Le film s’ouvre sur un texte de Gabriel Garcia Marquez, tiré de son roman « Cent ans de solitude », qui décrit en détails les symptômes de l’Alzheimer.
Triste fait : Paule Baillargeon avait donné à son ami Claude Jutra le rôle du médecin qui diagnostique la maladie d’Alzheimer à Sonia, sans savoir qu’il en était lui-même atteint. La scène a été coupée au montage. Jutra est décédé peu de temps après, en novembre 1986. Dans un entretien accordé à Ciné-Bulles, la cinéaste en a dit :
Claude ne le savait pas plus que moi (qu’il était atteint d’Alzheimer). On savait si peu de choses sur cette maladie. Cette coïncidence est si troublante que je ne voulais pas y faire référence dans le film. On m’en a convaincue. Après coup, je me suis sentie très coupable de lui avoir demandé de jouer ce personnage!
Une incursion au cœur des années 1980
Je vous invite donc à regarder Sonia, un film qui porte à la réflexion et qui nous replonge au coeur des années 1980… mode vestimentaire colorée incluse!
Sonia, Paule Baillargeon, offert par l’Office national du film du Canada
Bon cinéma!
Magnifiquement réalisé. Très sobre et touchant. J’ai perdu ma grand-maman de cette terrible maladie et ce film m’a beaucoup touchée.