Tournée ONF : Winnipeg
Histoire de nous éviter de devoir modifier le nom de ce blogue pour l’intituler « Films et festins de Carolyne », je résisterai cette fois à l’envie de vous raconter ce que j’ai mangé le midi à Winnipeg. Bon! Je me contenterai de faire allusion au minestrone, mais vous n’en saurez pas davantage (d’accord, la soupe était délicieuse et contenait de gros morceaux de courge et des pâtes maison aux œufs et aux épinards). Voilà!
J’insisterai plutôt sur le fait que j’aime beaucoup Winnipeg. Il neigeait abondamment à notre arrivée, mais qu’à cela ne tienne, je me suis emmitouflée et suis sortie faire une longue promenade en ville, où j’ai photographié de vieilles affiches peintes et des immeubles luxueux. Je ne vous dis pas tout ce qu’il m’a fallu de concentration et de discipline pour éviter de foncer vers le 10e étage de l’hôtel Fort Garry, dont le Ten Spa abrite un authentique hammam turc (massages au savon à l’huile d’olive! vapeur! plaques de marbre chaud!). Allez, marche!
Je poursuis donc ma promenade et trouve finalement le chemin de l’Exchange District, où je tombe sur une foule de galeries, de friperies et de boutiques de créateurs locaux. Mais il est bientôt l’heure de retrouver Tom et la bande pour la réunion du soir, qui doit se dérouler dans l’une des plus grandes librairies indépendantes du Canada : McNally Robinson.
À la librairie, un groupe de personnes, dont un certain nombre de cinéastes contrariés par les restrictions budgétaires récemment imposées au bureau de Winnipeg, sont venues s’entretenir avec Tom et participer à la discussion. La première femme à s’adresser à l’assemblée affirme connaître une bonne histoire locale qui devrait faire l’objet d’un film. Nous l’écoutons. Elle dit avoir connu personnellement un homme, « ici à Winnipeg », un vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui a travaillé « dans l’espionnage ». Il a été agent d’infiltration durant la guerre, un genre de saboteur. « Il était l’agent 34 », dit-elle. Durant 60 ans, le serment du secret l’a empêché de parler de son passé, mais l’interdiction de 60 ans ayant pris fin, l’homme a retenu les services d’un avocat et publié un ouvrage intitulé The Spy Worker. « Comment faut-il procéder pour faire un film? interroge-t-elle. Je crois qu’il s’agit d’une histoire qui pourrait vous intéresser, non? »
Derrière elle, une commissaire d’école de la Winnipeg School Division (chargée de quelque 33 000 enfants), dit avoir été touchée d’apprendre que Tom était arrivé au Canada en tant que réfugié, un sort qu’ont connu bien des jeunes de la région. « Vous savez, beaucoup des gens se demandent pourquoi Johnny éprouve de la difficulté à s’adapter à la 10e année. Eh bien parce qu’il a passé la majeure partie de sa vie dans des camps de réfugiés. » Elle affirme que sur le plan de la pédagogie, l’ONF apporte une contribution inestimable. « Ce que vous faites est tellement important », conclut-elle.
Plus tard, un homme déplore la réduction de l’effectif du bureau de Winnipeg. « Comment voulez-vous raconter des histoires de cette façon? » s’indigne-t-il en ajoutant que si les gens se montrent si protecteurs à l’égard de l’ONF, c’est « qu’on l’aime énormément ». « L’ONF est précieux pour nous, dit-il. Nous voulons le voir gagner du terrain, non en perdre. »
À sa droite, une femme remercie Tom de sa présentation et fait remarquer que sa visite coïncide avec une tempête de neige épouvantable. « La dernière fois que nous avons eu une tempête d’une telle ampleur et aussi tôt dans la saison, dit-elle, c’était en 1996. L’hiver qui a précédé les inondations de 1997. Et à voir les conditions actuelles, tout indique qu’il risque d’y avoir une autre inondation importante au printemps. » Elle poursuit en disant qu’elle a conduit dans la neige ce jour-là, qu’elle est restée coincée dans un embouteillage monstre et qu’elle a entrevu la signification de tout ça. « Trois choses me sont venues à l’esprit, dit-elle. D’abord, la résilience. Parce que nous n’arrêterons pas de conduire, d’aller là où nous voulons. Ensuite, l’imagination. Parce qu’ici, nous passons beaucoup de temps à l’intérieur à réfléchir aux choses. Enfin, l’humanité pure et simple, parce que nous allons devoir nous entraider quand surviendront ces inondations. »
À l’autre extrémité de la salle, une femme se présente comme étant d’origine métisse (moitié Canadienne francophone, moitié Crie) et nous raconte un peu son histoire. Lorsqu’elle était enfant, on l’a envoyée à l’école catholique et elle n’a appris que bien plus tard dans sa vie qu’elle avait du sang cri. « Je n’ai pas connu ma véritable identité avant la trentaine, dit-elle. C’est tellement honteux. » Elle se rappelle qu’à l’école, on lui faisait lire tous ces trucs sur les Indiens dans lesquels on racontait qu’ils étaient sauvages et mangeaient le cœur des prêtres. « Vous ne pouvez pas savoir à quel point j’avais peur de croiser un Indien! Mais aujourd’hui, je suis profondément fière d’être métisse. J’ai l’impression qu’il y a en moi une double force. » Elle ajoute que les Blancs craignent souvent de dire certaines choses au sujet des Autochtones sous peine de paraître racistes, et que de leur côté, les Autochtones ne veulent pas parler des Blancs pour les mêmes raisons. « Mais moi, je m’en fiche! déclare-t-elle. Je dis ce que je veux! » Elle parle également de la femme de son oncle, qui a elle aussi certaines origines cries et la peau « assez foncée ». « Eh bien, elle se mettait chaque jour de la farine blanche sur le visage pour essayer de dissimuler son identité, dit-elle. Il en existe, des histoires comme celle-là. Mais moi? Je suis moi, tout simplement. Je suis moi », termine-t-elle sous les applaudissements nourris.
Reprenant certains fils de la conversation, une femme qui dit travailler avec les familles autochtones explique que de nombreux problèmes auxquels sa clientèle se trouve confrontée se rattachent à la notion d’accessibilité : accessibilité aux sports, au matériel, à Internet. Elle estime que le travail de l’ONF a de l’importance en ce qu’il « nous présente le reflet de nos identités » et qu’elle aimerait trouver des moyens de capter et de partager des histoires autrement que par la voie de l’écriture. « Vous savez pour les enfants… Youtube, les films, ça touche vraiment les gens. Je n’ose pas le dire trop fort dans une librairie, mais est-ce que les enfants lisent vraiment beaucoup? »