L’œuvre de Pierre Perrault bien actuelle / Dix-huit films. Une seule trame…
Toujours d’actualité l’œuvre de Pierre Perrault? J’ai posé la question à Carol Faucher, le chef d’orchestre de la publication de l’œuvre magistrale de Perrault. Après avoir abordé le territoire privé du poète cinéaste avec l’élément déclencheur à l’origine du travail de Perrault. Après avoir exploré les concepts du fleuve et de l’identité collective comme thèmes récurrents de son œuvre, je me suis demandé à quoi tient toujours l’intérêt de ses films dans le monde d’aujourd’hui.
Ce cinéaste de l’imaginaire a fait tellement parler de lui. Quelque part, je me disais tout a peut-être été dit. Je sous-estimais le pouvoir de raconter de Carol et sa connaissance profonde de l’homme.
L’œuvre de Pierre Perrault est-elle toujours d’actualité?
On a souvent dit que Perrault était passéiste; qu’il ne s’intéressait qu’au passé, qu’aux traditions d’une époque souvent révolue, loin des réalités urbaines ou contemporaines, par exemple. Attention. Rien n’est plus faux. Pierre Perrault est au contraire très présent à son temps.
Pierre Perrault est un montréalais; un gars de la ville. La ville, il la connaissait. Le territoire québécois, il ne le connaissait pas. C’est pour ça qu’il s’est mis à le parcourir. La ville, il l’a d’ailleurs explorée dans une série de radio diffusée à Radio-Canada en 1965, intitulée « J’habite une ville ». Trente-neuf épisodes avec des travailleurs, des gens de métier… la construction, les abattoirs, les débardeurs, les citadins… au niveau de la rue et du quotidien : un portrait vivant de la ville; la parole en direct, comme le cinéma direct. On en trouvera un épisode sur le disque compact du coffret Volume 5 de notre édition DVD. L’Hexagone vient de publier une mise en forme de 13 des 39 émissions de cette série. Il faut absolument lire ça, faute de pouvoir les écouter.
Mais revenons au cinéma. C’est vrai que Perrault s’est intéressé au passé de ceux et celles qu’il a rencontrés en parcourant le Québec. Il s’est intéressé à leur passé dans leur présent; pour mieux cerner leur présent. On pourrait reprendre le cliché : « Pour mieux savoir où l’on va il faut savoir d’où l’on vient ». Ce n’est pas seulement un cliché! En parcourant le territoire à la rencontre de ceux qui l’occupent, dans leur vécu et leurs paroles, en se donnant comme mission de nommer le pays, Perrault rappelle leur histoire, leur passé, leurs traditions… les racines du présent. Un patrimoine essentiel à notre mémoire collective.
Perrault a été un homme de son temps. Ses films ont enrichi la réflexion collective. Et parce que Perrault est aussi un poète et qu’il a donné une dimension poétique au vécu des gens qu’il a filmés, ses films se sont en quelque sorte inscrits dans l’imaginaire collectif.
Les questions identitaires dont on a parlé précédemment sont toujours des questions d’une grande actualité. Dans les années 60, dans les années 70, dans les années 80 et 90, les films de Perrault sont en liens avec la mouvance sociale, culturelle et politique. Les questions soulevées pas ses films se posent encore aujourd’hui. Et peut-être plus encore dans le contexte de la mondialisation.
Un pays sans bon sens
La question identitaire que posent directement ou indirectement ses films est toujours une question de grande actualité dans la société québécoise d’aujourd’hui. Pensons aux débats de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements reliés aux différences culturelles et aux discussions qu’elle a suscitées dans tous les endroits du Québec où elle a siégé. Imaginons qu’on ait projeté Un pays sans bon sens avant chacune des séances de la Commission…
La réflexion suggérée par les films est toujours pertinente même si le décor, l’environnement, le contexte, l’espace dans lequel elle est proposée sont différents. Les quatre films du Cycle abitibien, par exemple, tournés dans les années 70 à 80 posent les questions de la vie en région, du développement régional, de l’économie régionale, de l’exode vers les grands centres. Ce sont là des réalités toujours actuelles.
Quand Perrault ramène des archives de la colonisation de l’Abitibi des années 30 et 40 dans son film Le retour à la terre alors qu’au moment où il tourne son film on conseille aux cultivateurs d’abandonner les terres qu’ils ont courageusement défrichées 40 ans plus tôt et qu’Hauris Lalancette, le résistant, rappelle les promesses d’autrefois, Perrault sonne en quelque sorte la cloche devant les promesses d’avenir pour la région des grands projets hydro-électriques de la Baie James.
Autre question d’actualité. La question amérindienne et l’occupation du territoire. Perrault n’est certes pas le seul cinéaste à traiter la question amérindienne. Pensons à l’énorme travail du cinéaste Arthur Lamothe, aux films de Maurice Bulbulian, entre autres. Mais sa démarche, son parcours du territoire et son projet de nommer le pays et de donner la parole à ceux qui l’habitent, l’oblige à considérer l’incontournable réalité amérindienne et le ramène chez les Innus. Un pays sans bon sens et plus directement Le goût de la farine et Le pays de la terre sans arbre ou le Mouchouânipi soulèvent les questions d’occupation du territoire, de l’existence des réserves, du rapport à l’environnement, de l’importance des liens qui unissent les autochtones à la nature; de nos rapports avec les premiers habitants du territoire. Ce sont là toujours des questions actuelles.
Cette actualité des films de Perrault réside aussi dans leurs qualités cinématographiques. Ce cinéma du réel fondé sur la parole et le vécu pose plusieurs questions d’ordre éthique et esthétique sur la pratique du cinéma. Les jeunes générations de cinéastes, réalisateurs, cameramen, monteurs, y trouveront une importante source de réflexion sur la pratique de leur métier.
L’actualité de l’œuvre de Perrault tient à sa grande cohérence. « J’avais bâti une approche de l’homme qui me semblait rentable » dit Perrault dans un des entretiens de cette édition.
Son œuvre n’est pas seulement une affaire de cinéma. C’est un engagement éthique et esthétique, poétique et politique d’un homme amoureux de la langue qui, avec ses outils, a participé et a contribué à nourrir la conscience collective.
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1re partie de l’entretien : l’élément déclencheur à l’origine du travail de Perrault et le thème du fleuve, récurrent dans son oeuvre
Le fleuve, thème du 5e coffret, sera en magasin le 1er décembre
2e partie de l’entretien : Perrault et la quête d’identité collective