Malartic : Une histoire de mine | Perspective du conservateur
Une dizaine d’années après avoir réalisé un premier long métrage documentaire sur la venue d’un projet minier à Malartic (La règle d’or, 2011), le cinéaste Nicolas Paquet revient dans cette petite ville d’Abitibi, qui a vu un de ses quartiers être rayé de la carte pour faire place à l’excavation d’une immense mine d’or à ciel ouvert, pour y tourner un deuxième film, Malartic (2024).
Si, dans son premier film, le réalisateur évoque les bouleversements qu’a occasionnés ce projet et les promesses d’un avenir meilleur pour la ville et sa population auxquelles croyait le maire de l’époque, dans ce second opus, il constate que le miracle économique promis n’était qu’une illusion.
Malartic, Nicolas Paquet, offert par l’Office national du film du Canada
Le mirage
Le film nous apprend que, depuis l’ouverture de la mine, la ville a perdu plusieurs de ses commerces et que la pauvreté y est toujours présente. Les habitants et habitantes de Malartic ne bénéficient pas d’un partage équitable de la richesse générée par le projet d’Osisko, qui cumule 10 milliards de dollars de revenus depuis dix ans[1]. De plus, Malartic est aux prises avec des émanations de gaz toxique, des dynamitages dangereux qui propulsent des débris de roche près des habitations et des commerces, de la pollution sonore et des montagnes de résidus miniers qui bordent le cratère de la mine. Sa population est divisée. Certains dénoncent les injustices économiques et les conséquences environnementales désastreuses liées à l’arrivée de la mine. D’autres se taisent, satisfaits des emplois et des salaires élevés qu’offre la compagnie minière. Une fracture sociale qui n’est pas près de se résorber dans un contexte où le ministère de l’Environnement du Québec se fait souvent complice des minières, en ne sévissant pas contre les contrevenants, et où les recours juridiques pour les citoyens et les citoyennes qui veulent obtenir réparation sont extrêmement limités, voire inexistants.
Les enjeux soulevés par le film de Nicolas Paquet sont vastes et complexes. Ce billet aimerait vous proposer trois de nos films sur les mines pour mieux comprendre certains d’entre eux.
Une histoire de trou, une histoire vraie
Si vous voulez connaître la longue et sombre histoire des mines au Québec et en Ontario, ainsi que celle, tragique, de ses mineurs, il faut voir Trou Story (2011) de Robert Monderie et Richard Desjardins. À l’aide d’images d’archives, dont certaines inédites, de photos, d’entrevues avec des historiens, des hommes politiques, des syndicalistes et des mineurs actuels, et d’une narration écrite et dite par Desjardins, ce long métrage documentaire nous emmène au cœur de l’histoire des mines. L’auteur-compositeur-interprète et cinéaste nous raconte, avec toute la verve que nous lui connaissons, comment des compagnies minières canadiennes et étrangères se sont emparées des ressources naturelles du pays, puis les ont exploitées, sans jamais verser de redevances à l’État, en payant très peu d’impôt et en ne redistribuant pas la richesse créée. Il relate l’exploitation des travailleurs, les luttes qu’ils ont dû mener et leurs conditions de travail déplorables et dangereuses. Il nous montre, à l’aide d’images fortes, les dégâts environnementaux qu’ont laissés derrière elles les compagnies minières après avoir fermé leurs mines. Il rappelle la complicité des gouvernements au cours de l’histoire, qui n’ont jamais cherché à réglementer, à encadrer ou à taxer l’exploitation des ressources naturelles du pays. Le film se termine à Malartic, alors que Desjardins rencontre des citoyens et des citoyennes qui s’inquiètent de l’arrivée de la mine, tandis que le maire rappelle les avantages économiques d’un tel projet. Une séquence qui préfigure le documentaire que réalisera, une douzaine d’années plus tard, Nicolas Paquet.
Trou Story, Richard Desjardins et Robert Monderie, offert par l’Office national du film du Canada
Un combat inégal
Comme nous l’avons évoqué un peu plus haut, Malartic aborde, entre autres, le rapport de force inéquitable entre la compagnie minière et des citoyens et des citoyennes dont la quiétude et la qualité de vie ont été affectées par l’arrivée de la mine et qui veulent faire valoir leurs droits. Un affrontement complètement inégal, alors que ces gens, qui disposent de peu de moyens et qui se défendent comme ils le peuvent, font face à une entreprise extrêmement riche et possédant les meilleurs avocats. La bataille reste trop souvent perdue d’avance, et les plaignants en sont réduits à négocier une entente hors cours avec la compagnie. Comme le souligne l’avocate Anne-Marie Voisard : « en être réduit comme citoyen à s’asseoir face à face avec une société commerciale de cette envergure, hors cour, en être réduit à devoir négocier directement avec elle les conditions de sa reddition, cette scène-là porte en elle-même la faillite du droit[2] ».
Cette lutte inégale contre les minières, ce rapport de force tordu, cette « faillite du droit », pour reprendre les mots de l’avocate citée précédemment, sont parfaitement illustrés dans l’excellent et percutant documentaire de Julien Fréchette Le prix des mots (2012). Il raconte la bataille judiciaire entre les compagnies Barrick Gold et Banro et le philosophe Alain Deneault, auteur du très critique livre Noir Canada, sur les agissements de ces entreprises en Afrique. Peu de temps après la sortie du livre, en 2008, les deux minières canadiennes entament des poursuites en diffamation totalisant plusieurs millions de dollars. Il s’en suit une escalade de procédures judiciaires, qui s’échelonne sur plusieurs années, et qui force la maison d’édition Écosociété, également visée par la poursuite, à retirer le livre de la circulation. Le film met en lumière l’impuissance des gens ordinaires face aux riches de ce monde, mais montre surtout les limites de la liberté d’expression dans un pays démocratique comme le Canada.
Le prix des mots, Julien Fréchette, offert par l’Office national du film du Canada
Vivre dans sa ville
«Mais pourquoi une ville accepterait-elle la venue d’un projet minier dans de telles circonstances ?» vous demandez-vous peut-être. Comme le souligne Nicolas Paquet dans une entrevue accordée au journal Le Devoir à la sortie de son film : « Quand le projet de mine est arrivé, celui d’une deuxième mine, l’économie allait mal à Malartic, et cela a été bien accueilli.[3] » La mairesse de Murdochville, que l’on voit vers la fin de Malartic, fait valoir le même argument. Bref, l’arrivée d’une mine et d’une centaine d’emplois bien rémunérés représente souvent la seule possibilité pour une petite ville de région de sortir du marasme économique. En ce sens, le problème n’est peut-être pas tant l’exploitation minière, que la manière dont les choses sont faites. Les gens sont souvent attachés à leur ville. Ils veulent y vivre, y travailler et y passer le reste de leur vie.
Schefferville, le dernier train
L’espoir d’une économie meilleure pour une petite ville en région éloignée, qui ne peut souvent compter que sur l’industrie minière, et l’attachement qu’ont les gens pour leur coin de pays, sont très bien représentés dans le long métrage de Roger Frappier et Jacques Leduc Le dernier glacier (1984). Ce film, qui mélange habilement fiction et documentaire, raconte l’histoire vraie des mineurs de Schefferville. Le 2 novembre 1982, la compagnie Iron Ore du Canada (IOC), dirigée par un certain Brian Mulroney, annonce la fermeture de sa mine de fer à Schefferville. Le marché de l’acier est en chute libre. Le minerai de fer ne se vend plus. Le coup est dur. La fermeture de la mine signifie ni plus ni moins la fermeture de Schefferville.
Entrecoupé de véritables témoignages de travailleurs de l’IOC et de jeunes qui n’ont pas connu autre chose que la vie à Schefferville, de scènes de ceux qui restent et de ceux qui partent, le film raconte l’éclatement d’un couple fictif, celui de Raoul et de Carmen. Lui veut partir, refaire sa vie à Sherbrooke, d’où il est parti dix ans auparavant; elle veut rester avec leur fils, Benoît. Le procédé donne aux scènes de fiction, interprétées par les comédiens Robert Gravel, Louise Laprade, Martin Dumont et Michel Rivard, également auteur-compositeur et interprète de la chanson thème du film, Schefferville, le dernier train, de tels accents de vérité et de réalisme, que l’on finit par les confondre avec les séquences documentaires. De la même façon, il apporte une dimension dramatique aux scènes documentaires, car le public suppose que derrière les témoignages de ces vraies personnes se cache peut-être le même drame que vivent Raoul, Carmen et Benoît.
Le dernier glacier, Roger Frappier et Jacques Leduc, offert par l’Office national du film du Canada
Il ne me reste plus qu’à vous rappeler de ne pas manquer Malartic, que nous venons tout juste de lancer sur onf.ca! Et de découvrir Trou Story, Le prix des mots et Le dernier glacier, qui contribueront certainement à alimenter votre réflexion sur les mines.
[1] Ce montant provient des calculs du cinéaste Nicolas Paquet.
[2] Citation tirée du film Malartic (2024) de Nicolas Paquet, une production de l’Office national du film du Canada et de franC doc films (bis).
[3] MONTPETIT, Caroline. « Malartic : à qui profite la mine ? », Le Devoir, 27 février 2024.
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Ping : Alain Deneault-Docteur en philosophie, enseignant, essayiste