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Assez French ou la place de la francophonie dans ma famille

Assez French ou la place de la francophonie dans ma famille

Assez French ou la place de la francophonie dans ma famille

Au chalet familial du lac Wakaw, en Saskatchewan, la réputée auteure-compositrice-interprète fransaskoise Alexis Normand nous convie à une discussion franche sur l’appartenance et le bilinguisme dans les Prairies. Entremêlant des extraits de vieux films familiaux à cette conversation actuelle, Assez French met en relief les combats et les victoires que comporte la reconquête de son identité canadienne francophone. Alors que parents, enfants et petits-enfants se rassemblent pour chanter, jouer et faire la fête, en français et en anglais, cet acte de transmission d’une langue devient enfin synonyme de joie et de liberté.

Assez French, Alexis Normand, offert par l’Office national du film du Canada

Les gens sont souvent étonnés d’apprendre que mes ancêtres se sont établis sur le territoire du Traité no 6 dès leur arrivée de France, il y a de cela quatre générations. Lorsque j’évoque mon héritage francophone, les anglophones me demandent en général si je suis du Québec. Si j’y présente une prestation musicale, il m’arrive souvent de me demander au milieu d’une chanson qui remarque mon accent « anglophone ».

Mon père est issu d’une famille francophone et ma mère est anglophone, ce qui fait de nous une famille exogame. Quand j’étais enfant, le fait d’appartenir à une famille qui n’était pas entièrement « de souche » (de pure origine française) revêtait dans notre communauté une signification qui m’a toujours profondément troublée : comme si ma famille et moi étions d’une certaine façon des francophones incomplets. Après m’être longtemps débattue contre cette impression, je me suis mise, ces dernières années, à ressentir une curiosité nouvelle à propos de tout ça. Pourquoi est-ce que j’ai toujours eu ce sentiment ? D’où vient-il ? Et pourquoi est-ce que j’y accorde autant d’importance ?

La cinéaste Alexis Normand dans le court métrage documentaire Assez French, premier film qu’elle réalise pour l’Office national du film du Canada.

Un été, il y a quelques années, j’ai décidé de filmer une entrevue avec ma mère par une chaude soirée de juillet. Pendant que les oiseaux chanteurs se rassemblaient non loin de là dans une grange abandonnée et que l’horizon passait peu à peu au rose, ma mère m’a raconté, pour la première fois, les difficultés auxquelles elle s’était heurtée en tant que parent anglophone forcé de rester en marge de la réalité scolaire francophone de ses enfants. Les émotions et les révélations qui ont fait surface ce soir-là m’ont donné envie de clavarder avec d’autres francophones à propos de leur vécu. Nos conversations se terminaient souvent par des larmes, du genre de celles qui vous montent aux yeux quand vous comprenez enfin que d’autres ressentent la même chose que vous.

J’ai tout de suite perçu l’occasion qui s’offrait : la chance de confirmer nos vécus réciproques et de saluer la pluralité et la diversité des identités francophones. L’énergie qui se dégageait de ces premiers échanges m’a poussée à réaliser ce film.

« Oui, mais qu’est-ce qu’on va voir, à l’écran ? » m’a demandé le producteur. Jon Montes est un homme d’une grande patience.

Sur le plan affectif, je savais que je tenais quelque chose : je le sentais, mais j’avais de la difficulté à me le représenter.

Je lui ai répondu : « Eh bien, c’est partout. C’est la tension qui se manifeste quand la matante “intense” choisit l’option Français au milieu d’un film que regardent les cousins-cousines. Ou le malaise qui plombe la conversation à table quand une personne de la famille élargie réussit à éviter de parler de l’école — immersion française ou fransaskoise — que fréquenteront les petits-enfants. »

« D’accord, mais qu’est-ce qu’on va VOIR ? » a redemandé Jon.

Je savais que l’histoire portait sur ma famille, mais je n’arrivais pas à me la représenter parce que tout « ça » semblait si normal. Cette réalité faisait tellement partie de notre vie qu’elle paraissait banale. Il m’est finalement venu à l’esprit que c’était précisément ce quotidien, ce qui était normal, qu’il fallait voir : un aperçu de la façon dont fonctionne — et ne fonctionne pas — notre famille exogame quand nous nous réunissons tout bonnement pour bavarder.

J’ai donc proposé aux membres de ma famille de se rassembler à notre chalet de 70 m2, situé à une heure de route au nord-est de Saskatoon. Nous y passons en général nos étés, et c’est là que s’est déroulée notre première conversation sur la langue et l’identité.

La réalisatrice Alexis Normand en compagnie de ses parents, Sandy et Bernard, et de sa sœur Elise au lieu de rassemblement familial du lac Wakaw, en Saskatchewan.

Effectuer le tournage au lac m’a permis de faire ressentir durant tout le film la proximité qui existe entre nous. C’est ce que les gens me disent après l’avoir vu : « Vous avez l’air de former une belle équipe. » Et c’est vrai. Même si nous ne nous entendons pas toujours sur notre identité francophone, je ne pense pas que ce soit nécessaire. Nous respectons les choix des autres et trouvons des moyens de nous soutenir entre nous. Contre toute attente, et malgré nos divergences de vues, nous avons réussi à assurer la transmission intergénérationnelle de la langue française et de l’identité francophone. C’est une énorme victoire.

Il est rare qu’on montre aux francophones la difficulté qu’ils et elles éprouvent à débrouiller cette tension identitaire. Et plus rare encore qu’on leur en présente la manifestation dans un milieu exogame où des parents anglophones cultivent l’identité francophone de leurs enfants autant que leurs conjoints ou conjointes de langue française. Je suis fière qu’Assez French mette en lumière cette réalité. Sans la volonté de ma mère, ni ses enfants ni ses petits-enfants ne seraient francophones, aujourd’hui.

Tant en qualité d’artiste solo que de membre du trio folk Rosie & the Riveters, lequel effectuait des tournées internationales, Alexis Normand a créé une musique qui lui a valu un succès critique. Elle a récemment étendu sa pratique à la réalisation documentaire, s’intéressant surtout aux récits identitaires axés sur la question linguistique, l’appartenance et les racines. Elle a scénarisé et réalisé le court métrage documentaire Assez French (2022) pour l’Office national du film du Canada.

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