L’envol : cinq ans après
Il y a 21 ans, il m’est arrivé quelque chose d’extraordinaire : j’ai obtenu une bourse des Cadets de l’Aviation royale du Canada pour un stage intensif de pilotage menant au brevet de pilote d’avions privés. J’avais 17 ans.
Quinze ans après ce stage, j’ai réalisé L’envol, un documentaire sur un groupe de jeunes cadets enthousiastes inscrits au même programme, ce qui m’a permis de boucler la boucle. Depuis, j’ai eu la chance de retrouver Emma, l’une des protagonistes.
TESS : Emma, que fais-tu aujourd’hui, cinq ans après le tournage du film ?
EMMA : Cinq ans plus tard, je me retrouve dans le même environnement ! J’ai décidé de faire carrière dans l’aviation en 2017 et depuis, j’ai obtenu ma licence de pilote professionnel et ma qualification d’instructeur de vol. Je suis instructrice depuis près de deux ans et je travaille actuellement à obtenir mes qualifications multimoteurs et vol aux instruments. Je suis aussi formatrice bénévole pour le programme des cadets, dans le cadre notamment de la formation régulière, des cours au sol et du programme de vol en famille. J’ai décidé de poser ma candidature comme cadet-officier l’année dernière et j’espère le devenir bientôt.
TESS : C’est formidable que tu poursuives ta formation, mais aussi que tu boucles la boucle pour former les autres ! Je trouve que les femmes œuvrant dans les domaines de la science, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques éprouvent souvent le désir de servir de mentor et d’éveiller des vocations parmi la génération suivante. C’est un peu ce que je fais avec le cinéma, et ce que je voulais faire auprès de vous au moment du tournage du film : vous encourager à atteindre vos objectifs. As-tu l’impression que le programme des cadets a été formateur pour toi, et est-ce que tu ressens toi aussi ce besoin de passer le flambeau ?
EMMA : Le programme des cadets et la bourse de pilotage m’ont fait vivre des expériences inoubliables et m’ont permis de devenir la personne que je suis aujourd’hui. Je suis très reconnaissante envers les officiers et les bénévoles de mon escadron qui m’ont apporté un soutien indéfectible, surtout en ce qui concerne le pilotage. Je ne sais pas si je trouverai un jour un moyen de les remercier suffisamment, mais aider de mon mieux les futurs pilotes et les cadets est le moins que je puisse faire. Je pense que sans l’appui des jeunes générations de cadets-officiers et d’instructeurs de vol, ce programme si utile et ce secteur ne connaîtraient pas le même succès. On pose généralement la question « Qui seront nos futurs dirigeants ? », mais on oublie souvent de se demander qui contribuera à former ces dirigeants.
Comme le climat social change constamment, il est essentiel que ces équipes de bâtisseurs comprennent des personnes jeunes et issues de la diversité, capables d’apporter des points de vue actuels et d’établir des liens étroits avec les cadets et les pilotes parce qu’ils vivent les mêmes expériences et sont de la même génération. J’aimerais par contre qu’il y ait plus de modèles féminins chez les cadets. Peu de femmes occupent des postes de direction et d’officier et celles dont je pourrais me rapprocher sont encore moins nombreuses. Les modèles sont pourtant tellement importants pour apprendre à se connaître, à prendre confiance en soi et à acquérir des compétences de leader. Je pense que le fait d’avoir quelqu’un vers qui me tourner pour trouver de l’inspiration et des conseils m’aurait beaucoup aidée à m’épanouir en tant que personne, surtout dans un programme et un secteur où les hommes ont toujours été prédominants.
TESS : Oui ! Pouvoir s’identifier à ses mentors et à ses leaders donne l’impression que le but est plus facile à atteindre et normalise encore davantage le principe de la diversité dans ces postes. Cela ouvre la voie à un changement systémique. J’ai toujours voulu t’encourager, d’autant plus que je voyais en toi et dans les autres jeunes femmes une version plus jeune de moi-même. Je pouvais vous comprendre, vous les jeunes femmes, avec toutes vos insécurités, car ces insécurités avaient été les miennes et le sont encore aujourd’hui. J’ai vu combien les constructions sociales contribuent à renforcer certaines de ces insécurités, mais j’ai aussi vu votre confiance et votre volonté de foncer malgré ces insécurités. Cela m’a aidé à surmonter mes propres insécurités et à m’épanouir davantage. Vous m’avez inspirée et vous m’avez aidée à m’épanouir ! Est-ce qu’il t’arrive d’éprouver la même chose lorsque tu enseignes ?
EMMA : Je pense que le mentorat est fondé sur la réciprocité : le mentor y a autant à gagner que le « mentoré ». Mes étudiants ne s’en rendent peut-être pas compte, mais ils m’apportent beaucoup. Concrètement, ils m’aident à améliorer mon enseignement et à trouver des moyens de mieux communiquer et de mieux enseigner. Comme toi, je reconnais mes propres insécurités dans celles de mes étudiants et je découvre leur confiance en eux dans des domaines où je n’en ai pas. Cela me force à réfléchir sur moi-même : qu’est-ce qui m’empêche d’éprouver la même confiance qu’eux ? Si je suis capable de les aider à surmonter leurs insécurités, pourquoi ne puis-je pas m’aider moi-même ? À vrai dire, quand j’ai commencé à piloter, je n’avais pas beaucoup confiance en moi et cela m’a longtemps freinée. Mon travail d’instructrice et les heures passées auprès des étudiants et des cadets jouent pour beaucoup dans mon épanouissement personnel.
TESS : C’est formidable et stimulant de constater qu’avec le temps, l’expérience positive que j’ai eue à travailler avec toi, tu la vis à ton tour maintenant. Quel conseil donnerais-tu aujourd’hui aux jeunes femmes qui veulent faire carrière dans l’aviation ou dans le domaine des sciences, des technologies, de l’ingénierie ou des mathématiques ?
EMMA : Je leur conseillerais de trouver un milieu sûr et accueillant et de commencer par établir leurs objectifs. L’aviation et les domaines scientifiques et techniques restent dominés par les hommes, ce qui les rend encore plus intimidants. Il existe cependant des personnes et des écoles prêtes à appuyer les femmes. C’est tout à fait réalisable et l’expérience est tellement enrichissante. Ne laissez rien ni personne vous freiner !
TESS : Je sais que Rhea est inscrite au programme de physique et d’astronomie de l’Université de Waterloo et a fait un stage à TRIUMF, le centre canadien d’accélération des particules dans le cadre de ses études. Minni suit maintenant le programme d’aviation du Sault College pour obtenir sa licence de pilote professionnel et beaucoup d’autres ont fort bien réussi. Es-tu restée en contact avec quelqu’un d’autre ?
EMMA : Oui ! J’ai encore des liens avec quelques-unes d’entre nous. Je suis très proche de Namita, qui fréquente actuellement la Michael G. Degroote School of Medicine à l’Université McMaster, où elle fait son doctorat en médecine, et de Victoria, qui est candidate à la maîtrise en sciences à l’Université de Waterloo.
TESS : Vous avez toutes des parcours impressionnants ! Je suis tellement fière de vous !
Visionnez L’envol :
L’envol, Tess Girard, offert par l’Office national du film du Canada