Les mots du cinéaste : Paul Émile d’Entremont et son cycle de films LGBT
« Je suis plus que simplement ma sexualité », me disait récemment un ami gai. « Je ne me définis pas comme un employé gai ou un fils gai. Ma sexualité n’est qu’un aspect de moi-même », poursuivait-il.
J’ai souvent rencontré cette façon de se concevoir dans le monde et je la comprends. On est tous plus qu’un aspect de soi-même et on ne souhaite pas se faire ghettoïser. On est des êtres complexes!
Cependant, j’ai expliqué à mon ami que, pour ma part, je n’ai aucune difficulté à ce qu’on me présente comme un cinéaste gai. Ma différence sexuelle a eu et continue d’avoir un impact immesurable sur ma vie.
De plus, ma recherche professionnelle et mon vécu personnel me permettent de constater que la norme hétérosexuelle est tellement omniprésente que nous ne nous rendons souvent pas compte des répercussions qu’elle peut avoir. Son influence est sournoise. Elle est l’air idéologique que nous respirons.
En mai dernier, j’ai lancé au Festival du film documentaire Doxa à Vancouver mon dernier film, produit à l’ONF et intitulé Franchir la ligne,sur les athlètes LGBT. Ce long métrage fait suite à un autre film que j’ai réalisé en 2012, Une dernière chance, sur les demandeurs d’asile LGBT qui, en raison de persécutions homophobes, fuient leur pays d’origine pour trouver refuge au Canada.
Pourquoi ces choix de sujet? Je ne suis pas un nouveau Canadien; mes ancêtres acadiens sont bien ancrés en Nouvelle-Écosse depuis 1653. Je n’ai jamais été bon dans les sports d’équipe.
Au baseball mineur, j’étais souvent le dernier joueur à être choisi et on m’envoyait d’habitude dans le champ droit, où je priais pour qu’on ne frappe pas la balle dans ma direction. Mais je suis gai, et mon profond intérêt pour la question m’a amené à sonder le terrain sous différents angles, dans mon pays et ailleurs dans le monde, toujours dans le but de mieux comprendre cette réalité opaque qu’est la sexualité et de mieux me comprendre aussi.
C’est dans ce contexte que, il y a plus de cinq ans, j’ai entamé la recherche pour Franchir la ligne. Mes amis et mes connaissances ont souvent été surpris de mon choix de sujet. L’homophobie dans les sports? En 2019, c’était d’actualité?
Des hommes hétéros surtout m’ont rassuré en affirmant que, chez les jeunes, ce n’était plus un problème. On pouvait passer à autre chose. Mais les gens qui ont vu Franchir la ligne ne font pas ce commentaire. Au contraire, les trois athlètes élites LGBT que je suis dans ce film, des jeunes dans la vingtaine et la trentaine, ont chacun vécu l’enfer. Tentatives de suicide, dépression majeure, toxicomanie sont le lot des protagonistes du film. Oui, il y a eu énormément de progrès dans les dernières années pour les gais. Mais on partait de si loin. Peu de groupes dans la société sont aussi détestés et ostracisés.
Voilà pourquoi je ne me suis pas contenté de rendre compte de la souffrance des athlètes LGBT, mais que j’ai aussi voulu montrer un exemple à suivre. L’école L’Odyssée de Moncton, au Nouveau-Brunswick, est remarquable pour ses politiques progressistes et sa tolérance zéro envers l’intimidation.
Le directeur de cette école, Alain Bezeau, lui-même victime d’intimidation lorsqu’il était au secondaire, a tout simplement décidé qu’il ferait tout en son pouvoir pour éradiquer cette plaie dans son établissement. Résultat? Un joueur de l’équipe scolaire de football et un jeune entraîneur adjoint s’affichent ouvertement comme bisexuels. L’entraîneur-chef de cette même équipe ne tolère pas de langage homophobe, et quand il y a un dérapage, il parle aux joueurs de son frère gai qui s’est enlevé la vie vraisemblablement en raison de harcèlement homophobe.
Quand on humanise un groupe opprimé de la société, curieusement, les attitudes changent. Une personne à la fois.
Ma sexualité est indissociable de mon identité. Elle est ma différence, elle se trouve au cœur de ce que je suis, et au cours de ma vie, j’ai appris à l’aimer et à m’en réjouir. Pour le bien potentiel d’autres membres de la communauté LGBT, pour mon propre bien, je vous invite à m’appeler un cinéaste gai.