Jacques Godbout est invité à la première montréalaise du film le 12 mai 2011 au Théâtre Corona. Une invitation qu’il accepte volontiers, avant de publier cette longue lettre élogieuse à l’attention de Shannon Walsh dans le magazine Spirale :
LETTRE OUVERTE À SHANNON WALSH, À PROPOS DE SAINT-HENRI
Chère Shannon Walsh,
Je veux d’abord vous remercier de m’avoir invité à la projection de votre film « À Saint-Henri le 26 août », au théâtre Corona, autrefois un cinéma de quartier. C’est d’ailleurs un signe des temps que cette salle de projection soit devenue un lieu de spectacles et que ses rangées de sièges aient été vendues aux antiquaires.
Je n’avais absolument jamais entendu parler de votre film « À Saint-Henri le 26 août », et c’est avec étonnement et une certaine inquiétude que je me suis rendu rue Notre-Dame. Quand votre productrice de l’ONF, Colette Loumède, vous a présentée à moi, vous vous êtes empressée de me dire que vous vous étiez inspirée de notre film des années soixante, « À Saint-Henri le 5 septembre ». Je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre et je veux vous rassurer : « À Saint-Henri le 26 août » est un film séduisant, subtil et réussi.
J’ai surtout été ravi de l’avoir vu en présence de nombreux participants que l’on reconnaissait dans la salle. Curieusement, c’est la réception de votre film qui le distingue le plus du modèle de 1961. Quand « À Saint-Henri le 5 septembre » a été diffusé, les marchands du quartier, persuadés que nous dénigrions leur milieu, avaient poursuivi l’ONF (et moi nommément) pour libelle diffamatoire, réclamant un million de dollars (de l’époque) en réparation. Le député du coin avait même obtenu que nous paradions devant un Comité du Sénat canadien pour expliquer la démarche de la maison. Évidemment nous n’avons rien payé, et le Sénat nous a laissés en paix, mais tout ce ramdam nous a sérieusement inquiétés à l’époque (1).
J’ajouterais que la différence de réception entre votre film et le nôtre tient certainement à l’évolution des mentalités vis-à-vis du documentaire, mais surtout au fait que vous avez travaillé de l’intérieur alors que nous nous étions conduits, malgré nous, comme des ethnologues de passage. Quand vous dites vous être inspirée de la démarche du « 5 septembre », c’est d’abord parce que vous avez, comme nous, convoqué à Saint-Henri plusieurs équipes de tournage pour réaliser en 24 heures un portrait des lieux. Ce genre de défi est en soi productif, il tient de l’aventure et de la découverte, c’est ce que Gilles Carle appelait faire un film « à mesure », c’est-à-dire s’adapter, fouiller, improviser, un peu comme certains orchestres de jazz abordent un thème musical, laissant la bride sur le cou tantôt à la batterie, tantôt au saxo.
L’idée à l’origine de ce marathon était, je crois, de Fernand Dansereau qui avait utilisé comme prétexte le célèbre roman de Gabrielle Roy, « Bonheur d’occasion », et commandé à une littéraire, Monique Bosco et à un sociologue, Fernand Cadieux, de faire un plan de travail pour bien cerner l’originalité de cette zone ouvrière. La réalisation du « 5 septembre », attribuée dans les documents de l’ONF à mon ami Hubert Aquin, chargé de projet, tient à un quiproquo. L’ami Hubert était un spécialiste des rendez-vous manqués. C’est ainsi qu’il n’était ni au tournage, ni au visionnement des « rushes », et encore moins à celui du montage. En réalité Aquin était évanescent, il se plaisait à dire « je déçois » et s’était lancé dans un projet de course automobile sur l’île Sainte-Hélène. Pendant que je rédigeais la narration de Saint-Henri, Hubert Aquin dînait à Rome avec Fangio, discutant de l’avenir de la Formule 1 à Montréal. À l’époque les crédits cinématographiques comptaient pour peu et en lui accordant la « réalisation » du « 5 septembre à Saint-Henri », nous lui faisions nos amitiés. Il quittait l’ONF peu après.
Je ne sais si vous avez pensé construire votre film par thèmes ou associations d’images et de sons, ou autrement, mais puisque vous tourniez en numérique, j’ai de bonnes raisons de croire que vous deviez être encore plus submergée d’images que nous avons pu l’être. Or vous avez choisi de structurer votre documentaire en suivant la même démarche que celle du « 5 septembre », je peux vous dire que vous vous êtes évitée bien des ennuis! Pour la petite histoire sachez que Claude Jutra, l’un des monteurs les plus doués de sa génération, s’est débattu avec des milliers de pieds de pellicule 16mm pendant deux longs mois. Si j’ai pris la relève au montage, c’est qu’il avait démissionné et que Fernand Dansereau avait accepté, si je relevais le défi, de me décharger d’un film commandité (l’ONF était au service des ministères du Canada) sur « la prévention des incendies dans les hôpitaux ». J’étais prêt à travailler jour et nuit pour ne pas remettre les pieds à Ottawa ni revoir les pompiers fédéraux.
Au bout du compte, en bon cartésien, j’ai approché l’amas de pellicule en me disant qu’il n’y avait qu’une solution, monter le film comme nous l’avions tourné, en suivant les aiguilles de l’horloge. Avec l’aide de Monique Fortier, sélectionnant les plans suivant la lumière, j’ai pu rassembler 42 minutes d’images de canaux, de trains de marchandises, d’enfants dans des ruelles, de réunions de cuisine (Maman Plouffe de Roger Lemelin n’était pas loin), de récitation du chapelet en famille, de fillettes en uniforme scolaire et d’ouvriers au travail ou à la taverne qu’une narration tenait tout ensemble (2). Partant d’une chanson de Raymond Lévesque, qui servait de thème musical, et que vous avez su réutiliser avec habilité, notre camarade Pierre Lemelin, monteur de son (on disait «monteur sonore » comme si le monteur lui-même était un haut-parleur), a par la suite élaboré des bandes-sons remarquables qui recréent la vraie couleur d’un quartier que nous avions peint d’un peu loin, en noir et blanc.
J’ai appris, chère Shannon Walsh, que vous aviez fait des études à McGill en anthropologie, et je soupçonne que cela vous a amenée à une certaine proximité avec les gens. Notre joyeuse bande, (nous étions une trentaine), installée dans la caserne des pompiers, s’était vue assigner, par le producteur Dansereau, des lieux et des heures de tournage selon son inspiration qui était celle, au fond, d’un journaliste conseillé par un sociologue. Fernand agissait d’autorité, il connaissait ses équipes et s’en servait comme un maître d’œuvre. Or j’ai été particulièrement touché de voir que vous aviez pris la peine de revenir sur certains lieux et certaines images du « 5 septembre », la cour de l’école primaire au premier jour de classe (les enfants n’ont plus les vacances de jadis), le salon de coiffure pour hommes, les restaurants refuges, le canal comme piscine, et même la voiture de police comme gardienne de nuit.
Cela dit vos réalisatrices et réalisateurs (il n’y avait pas de réalisatrices en 1961) ont su découvrir et suivre des personnages extraordinaires, une glaneuse sortie du pénitencier, deux vieillards diserts qui vivent disent-ils, les plus belles années de leur vie, car le filet social aujourd’hui est plus généreux que celui laissé par Maurice Duplessis à sa mort. Je ne vais pas vous décrire les séquences les plus étonnantes (je pense à la danse du petit boxeur), les spectateurs les découvriront, mais je me suis surpris à penser que nous avions fait un film d’images, comme des photographes, alors que vous avez réalisé un film de paroles. Comment expliquer cela? Il y a bien sûr la souplesse des nouvelles techniques, mais surtout les Canadiens français devenus Québécois ont appris à s’exprimer devant la caméra. Ce n’est pas une mince affaire.
Au fond, par delà de la cinématographie, ce que ces deux documentaires révèlent, par comparaison, c’est un progrès économique et culturel important qu’aucun autre instrument ne pourrait, hors les statistiques, illustrer.
Ce n’est pas tant que Saint-Henri se soit « gentrifié », qu’on y trouve des jardins, ou qu’il s’est ouvert à des communautés diverses, du Coréen dépanneur aux Chinoises pédicures ou à l’Africaine coiffeuse heureuse. Il y a mieux encore, le quartier a été investi par des créateurs, graffiteurs et explorateurs qui ont, en un sens, remplacé les nombreux enfants d’autrefois. Le quartier de Saint-Henri, comme le Québec, a économiquement évolué, la misère des années cinquante cédant peu à peu la place à un confort relatif, une sorte de simplicité involontaire.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du documentaire que l’on revient, plusieurs années plus tard, sur un même sujet, mais habituellement c’est un retour assumé par les mêmes auteurs. Dans ce 5 septembre, séparé par 50 ans du 26 août, j’aime voir le passage du bâton d’une génération de cinéastes à l’autre. C’est pour cela aussi que je veux, un peu au nom des pionniers, vous remercier sincèrement d’avoir entrepris avec autant de talents à vos côtés « À Saint-Henri le 26 août. »
Jacques Godbout
(1) Un groupe de jeunes, les Copains de Saint-Henri, s’était annoncé pour nous défendre, je les avais invités chez moi, j’avais acheté quelques caisses de 12, demandé à Fernand Dansereau et Pierre Juneau de venir m’appuyer. La soirée avait été sympathique, je venais de rencontrer pour la première fois Maurice Nadeau qui allait m’inspirer, quelques années plus tard, « Salut Galarneau! » Ce film, inspiré d’un roman, en avait fait naître un autre.
(2) La narration, entendue aujourd’hui, peut agacer les âmes sensibles, mais elle se justifie pleinement si on la situe dans le contexte des débuts de la Révolution tranquille.
How do we receive a copy of it if we took part in the film? My name is rob donaldson and i am in this film. I was promised a copy and i just want to know when i’ll receive it. Contact me at xnemisisx79@gmail.com
Hi Rob. Let me check with the production team. I’ll get back to you as soon as I have an answer from them. Have a good day.
Hi Rob. I contacted Parabola Films about this and they said they’d get in touch with you by email very soon. If you don’t hear from them in the next few days, please contact them directly at info@parabolafilms.ca. Best, Catherine