En route vers les Oscars : 10 questions à Patrick Doyon
Ce n’est pas la première fois que j’interviewe Patrick Doyon. Nous nous sommes déjà rencontrés à l’ONF l’année dernière et nous avons eu la chance de clavarder ensemble au mois de février 2011, alors qu’il était à Berlin pour présenter Dimanche en première mondiale.
À 32 ans, Patrick est le fier papa d’une fillette de 2 ans. C’est une personne fort sympathique, très terre à terre, qui sait faire confiance aux gens qui l’entourent et qui pourrait facilement être votre frère, votre fils ou votre meilleur ami.
Il y a à peine un an, il complétait son tout premier film d’animation professionnel à l’ONF. La semaine dernière, il apprenait que ce même film était finaliste pour un Oscar dans la catégorie Meilleur court métrage (animation). Comme quoi, tout est possible. Entrevue avec un jeune cinéaste rempli de talent, qui vient tout juste de tomber de sa chaise.
Les gens te connaissent encore très peu. J’ai envie de commencer l’entrevue en te demandant où as-tu étudié et qu’est-ce qui t’a poussé vers le cinéma d’animation?
J’ai fait un baccalauréat en design graphique à l’UQAM de 2000 à 2004, où j’ai suivi deux cours optionnels en cinéma d’animation. En même temps, je me tenais beaucoup à la Cinémathèque québécoise, située juste en face de l’université. J’aimais assister aux programmes de cinéma d’animation d’auteur organisés par le conservateur Marco De Blois. Ces programmes avaient lieu les jeudis soirs, alors je faisais attention de ne pas prendre de cours à la même heure. Ce sont un peu ces soirées de projections qui m’ont confirmé mon intérêt pour l’animation.
Quel a été ton premier contrat en animation?
Après mes études, en 2004, j’ai travaillé sur la série télé Walter à TV5. Je faisais du nettoyage de scénarimage, c’est-à-dire que je redessinais, en suivant une bible graphique, des personnages dessinés sommairement à la base par le réalisateur. Je faisais environ 40 heures par semaine de dessins techniques, ce qui a beaucoup perfectionné mon coup de crayon.
Ensuite, j’ai travaillé sur la série animée Station X qui était diffusée à Télétoon à l’époque. J’animais des capsules d’une quarantaine de secondes à l’intérieur du dessin animé. J’avais carte blanche. J’étais donc réalisateur de mes propres capsules. Vous pouvez en visionner quelques unes sur ma page Vimeo.
Ces deux expériences de travail, en plus de mes études et de mon intérêt pour le cinéma d’animation, ont été très formatrices.
Quand as-tu approché l’ONF pour la première fois?
J’ai participé au concours Cinéaste recherché à deux reprises : une fois en 2004, l’année où Jean-François Lévesque (Le nœud de cravate) a gagné, et une autre en 2006, où je me suis retrouvé parmi les trois finalistes aux côtés de la gagnante Marie-Hélène Turcotte (La formation des nuages).
Entre temps, j’ai continué de suivre l’actualité de l’ONF et de m’intéresser aux différents programmes de soutien offerts aux cinéastes et j’ai découvert le stage de formation Hothouse du Studio d’animation anglais. J’ai posé ma candidature et on m’a sélectionné du premier coup. J’ai eu la chance de travailler avec la cinéaste Shira Avni, qui était notre mentor cette année-là, et avec le producteur Michael Fukushima, le cofondateur du programme. C’était la 3e édition de Hothouse et j’ai beaucoup appris en y participant. On nous enseigne toutes les étapes de la production d’un film d’animation, du scénario jusqu’au montage final, en passant par sa conception sonore. Pendant mon stage, j’ai réalisé le film Square Roots, qui raconte l’histoire d’un petit robot que rien ne peut arrêter, sauf peut-être un accident de la route…
Square Roots, Patrick Doyon, provided by the National Film Board of Canada
D’où t’es venu l’idée du film Dimanche?
Lorsque j’ai posé ma candidature pour le concours Cinéaste recherché, en 2006, j’ai fait une courte bande dessinée intitulée Dimanche pour présenter mon idée de film. Le producteur Marc Bertrand avait accroché sur la bande-dessinée, plus que sur le film, et il m’a proposé de retravailler mon histoire en suivant l’angle du dimanche. J’ai donc planché sur l’idée pendant plusieurs mois et Michael Fukushima et lui m’ont ensuite offert de produire le film.
J’ai travaillé sur Dimanche durant deux ans et demi en tout. Je l’ai commencé en 2007 et j’ai terminé vers la fin de 2010. Michael et Marc m’ont fait confiance. Ils m’ont donné beaucoup de liberté, tout en étant là lorsque j’avais besoin d’eux. Le cinéaste Nicolas Brault (Hungu, Îlot, Le cirque) m’a aussi porté conseil, tout comme un de mes enseignants en cinéma d’animation à l’UQAM, Jean-Philippe Fauteux, avec qui j’ai collaboré sur le film.
La première du film a eu lieu au Festival de Berlin en février 2011 et la semaine dernière, tu as appris qu’il était sélectionné aux Oscars. Tu as eu une année extraordinaire. Peux-tu nous rappeler les moments forts?
Ce fut une année incroyable, en effet. Après Berlin, je me suis rendu en France, au mois de juin, pour présenter Dimanche au Festival du film d’animation d’Annecy. J’ai ensuite voyagé à mes frais au Danemark (Odense Film Festival), à Londres (London International Animation Festival), au Portugal (Festival international du film d’animation d’Espinho – Cinanima) et à Ottawa (Festival international d’animation d’Ottawa). J’ai gagné une bourse au Danemark, ce qui m’a permis de rembourser mon voyage et d’en faire un autre.
Pourquoi as-tu décidé d’adopter un style de dessin naïf pour Dimanche?
Tout s’est décidé au moment de la recherche. J’aime bien adapter mon style au ton du film sur lequel je travaille. Avec Dimanche, le style naïf et enfantin se prêtait bien, puisque l’histoire est racontée à travers les yeux d’un enfant. Ça ne veut pas dire que je vais seulement faire des films dans ce style-là et que je ne ferai jamais une forme de dessin plus réaliste dans le futur. Je pourrais aussi faire des films noirs, tout en conservant mon style naïf, mais en l’adoptant à l’histoire.
Alors que la tendance est à la pixilation et à la 3D, tu as plutôt choisi d’utiliser une technique classique : le dessin. Pourquoi?
D’abord, la 3D était hors de question pour des raisons de coûts. Ensuite, j’ai choisi le dessin parce que c’est la technique que je préfère en tant que cinéphile. Si je le pouvais, je réaliserais un film sans composition d’images. Ce serait juste des dessins filmés directement sous une caméra, sans numérisation, comme les cinéastes le faisaient à l’époque. J’ai un faible pour les arts classiques, comme le dessin, le fusain ou la peinture.
La semaine dernière, tu as appris que tu étais en lice pour un Oscar dans la catégorie du meilleur court métrage (animation). Comment te sens-tu?
Ça va mieux aujourd’hui, mais je te dirais que la semaine dernière a été très mouvementée! Je n’aurais jamais pensé qu’un jour, un de mes films serait sélectionné pour un Oscar et que j’allais me rendre aux Academy Awards. C’est surréel. C’est une visibilité incroyable pour le film. Depuis mardi, je suis dans un grand tourbillon. Je suis sollicité de tous bords, tous côtés. Je n’imagine même pas quel genre de tournée médiatique fait Philippe Falardeau (en nomination dans la catégorie Meilleur film étranger avec Monsieur Lazhar) en ce moment!
As-tu eu la chance de voir tous les films qui se retrouvent dans la même catégorie que Dimanche?
Oui, j’ai vu tous les films faisant partie de la Short List (les dix films présélectionnés) au cours de l’année. Ce sont tous d’excellents films et c’est un honneur de me retrouver aux côtés de cinéastes expérimentés, comme les Canadiennes Amanda Forbis et Wendy Tilby (Une vie sauvage). J’ai étudié leurs films à l’université. Elles font partie de mes influences.
Qu’est-ce qui t’attend au cours des prochaines semaines?
Dimanche est en nomination pour un Annie (un des prix les plus prestigieux en cinéma d’animation). Je serai donc à Los Angeles le week-end prochain pour assister au gala. Ensuite, je reviens à Montréal pour une semaine pour essayer de me trouver un complet (!) avant de repartir pour la Californie pour une autre tournée de projections du film avant les Oscars. Je serai là-bas pendant près d’un mois en tout. Ma copine va venir me rejoindre en fin de voyage pour assister aux Academy Awards avec moi.
On va vous souhaiter bon voyage! Tâches de garder les yeux ouverts et de te pincer de temps en temps.
Merci. Je vais essayer!