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Charles Officer : un poète de l’écran

Charles Officer : un poète de l’écran

Charles Officer : un poète de l’écran

Il y a de ces artistes dont la mort prématurée nous afflige particulièrement. À l’annonce de leur disparition, un sentiment d’incrédulité nous envahit, qui fait ensuite place à la tristesse. Puis, on se demande ce que nous venons de perdre. Combien d’autres projets aurait-il ou aurait-elle pu réaliser? Combien de grandes œuvres ne verront jamais le jour? Charles Officer était de ces artistes-là.

Né à Toronto le 28 octobre 1975, il est mort le 1er décembre 2023 des suites d’une longue maladie. Il n’avait que 48 ans. Scénariste, réalisateur, producteur et comédien, il laisse derrière lui une œuvre forte, poétique et personnelle. Dans une entrevue accordée à la CBC, le producteur Jake Yanowski, ami du cinéaste, la résume parfaitement : « Charles a grandi en tant que jeune homme noir à Toronto. Il allait donc évidemment parler de cela, mais il allait le faire de la manière la plus belle et la plus poétique qui soit, parce qu’il était un poète de l’écran [1].»

Dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, l’occasion est idéale de revenir sur l’œuvre de ce cinéaste prolifique et de lui rendre hommage.

Un premier long métrage de fiction

Après avoir réalisé quelques courts métrages, dont certains ont été présentés au Festival international du film de Toronto et au Festival du film de New York, Charles Officer écrit et réalise son premier long métrage de fiction, Nurse.Fighter.Boy, en 2008. Le scénario du cinéaste et de sa coscénariste, Ingrid Veninger, raconte l’histoire de trois personnages liés par le destin : Jude, une mère atteinte de la drépanocytose qui travaille comme infirmière dans un hôpital, Ciel, son jeune fils, et Silence, un boxeur sur le déclin qui deviendra une figure paternelle pour le garçon. Un long métrage éminemment poétique (comment peut-il en être autrement avec des personnages nommés Ciel et Silence?), qui plaît beaucoup aux spectateurs et spectatrices, alors qu’il obtient deux prix remis par le public pour le meilleur film : un au Festival international du film de Mannheim-Heidelberg et l’autre au Festival du film de Sarasota. Nurse.Fighter.Boy contient déjà le lyrisme qui caractérisera l’œuvre du cinéaste et la plupart des thèmes qu’il développera par la suite dans ses autres films, comme l’enfance, la poésie, les figures maternelle et paternelle, la mort, et la culture jamaïcaine, qu’il connaît bien étant né d’une mère d’origine jamaïcaine.

De la fiction et du documentaire

Dans une courte vidéo publiée sur le site de la CBC, alors qu’on lui demande quel film a changé son approche quant à son travail de cinéaste, il répond sans hésiter Killer of Sheep (1977). Ce long métrage de fiction du cinéaste noir américain Charles Burnett, qui le touche beaucoup et dont il admire le lyrisme et le réalisme quasi documentaire, lui a fait comprendre qu’il était possible de mélanger fiction et documentaire ou, plus précisément, d’aborder le documentaire comme de la fiction. C’est en adoptant cette approche qu’il tournera ces deux documentaires produits à l’Office national du film : Le grand Jerome (2010) et Notes d’espoir (2016).

Charles Officer (à l’arrière) pendant le tournage de Notes d’espoir.

L’homme le plus rapide du monde

L’athlète canadien Harry Jerome est un véritable héros canadien. Spécialiste du 100 et du 200 mètres, c’est en juillet 1960, alors qu’il est étudiant à l’Université de l’Oregon, qu’il fait pour la première fois parler de lui. Lors de la réunion d’athlétisme de Saskatoon, il égalise le record du monde du 100 mètres détenu par l’Allemand Armin Hary, en réalisant un temps de 10 secondes. Bruce Kidd, le coureur de fond olympique canadien, qui était présent lors de la course, affirme que le temps de Jerome était plutôt de 9,9 secondes, faisant de lui, ce jour-là, l’homme le plus rapide du monde! Cependant, les officiels de l’époque ont jugé que personne ne croirait qu’un Canadien puisse courir aussi vite et ils ont arrondi son temps à 10 secondes. Jerome a ensuite participé aux Jeux olympiques de Rome en 1960 et à ceux de Tokyo en 1964, au cours desquels il a remporté la médaille de bronze aux 100 mètres, après avoir subi, deux ans auparavant, une terrible blessure à la cuisse. En 1966, il a gagné la médaille d’or à la course de 100 verges (une distance qui n’existe plus aujourd’hui en athlétisme) aux Jeux du Commonwealth à Kingston. L’année suivante, il remportait également l’or, cette fois aux 100 mètres, aux Jeux panaméricains à Winnipeg.

Le grand Jerome, Charles Officer, offert par l'Office national du film du Canada

Le grand Jerome

La vie d’Harry Jerome est marquée par de grandes réussites, mais aussi par d’énormes difficultés. Victime de racisme, injustement critiqué par les médias de son propre pays, souvent contraint d’arrêter de courir à cause de blessures, dont une très grave qui a failli le rendre invalide, Harry Jerome a dû surmonter plusieurs obstacles. Dans son documentaire Le grand Jerome, Charles Officer relate avec brio l’ascension, la chute et la rédemption d’un des plus grands athlètes du Canada. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le cinéaste adopte une approche qui emprunte à la fiction. Il utilise le noir et blanc, réalisant ainsi des images qui siéent parfaitement aux années 1960 et qui créent une ambiance dramatique. Il ajoute de superbes scènes fictives, qui viennent enrichir le récit. Il filme ses intervenants en plans très rapprochés en variant les angles de caméra, ce qui les humanise et nous les rend plus attachants. Enfin, il incorpore habilement des images d’archives, donnant ainsi plus de vérité à son film, sans jamais rompre l’unité. Ce premier long métrage documentaire est une véritable réussite et met en lumière un personnage important de notre histoire, dont on ne parle pas assez.

Tournage du documentaire Le grand Jerome.

L’histoire d’une communauté

Peu de temps après, Officer commence un nouveau projet documentaire avec l’ONF, Notes d’espoir (2016), en s’intéressant à un tout autre sujet. Cette fois, il tourne sa caméra vers la petite communauté de Villaways, située au nord-est de Toronto, qui doit bientôt être déplacée dans le cadre d’un projet de revitalisation urbaine. Les maisons en rangée qui offrent des logements sociaux seront entièrement détruites pour faire place à de nouvelles habitations plus spacieuses et plus modernes. Les habitants et habitantes de Villaways, qui y vivent depuis plus de 30 ans pour certains, n’ont pas vraiment envie de déménager. Mais, on craint surtout de ne jamais pouvoir revenir habiter dans les nouvelles installations, qui seront probablement inabordables.

Notes d’espoir, Charles Officer, offert par l'Office national du film du Canada

La force du film réside dans le fait que le cinéaste nous fait découvrir cette communauté par l’entremise d’un groupe de jeunes, qui participent à un atelier de création de chansons et de musique. Il suit plus particulièrement le parcours de Francine, une jeune fille noire de 12 ans, originaire d’Antigua, qui vit à Villaways avec sa famille depuis une dizaine d’années. Lumineuse, dotée d’une intelligence aiguisée et d’un don remarquable pour l’écriture et la poésie, Francine, bien que timide, devient, par sa forte présence à l’écran, la porte-parole de toute une communauté. Notes d’espoir est un film lumineux, comme sa protagoniste, poétique, porteur d’espoir, dans lequel le cinéaste renoue avec certains thèmes de son premier long métrage de fiction, comme la jeunesse, la poésie, la musique et l’importance de la figure maternelle.

Les années qui suivent sont prolifiques pour Charles Officer, qui travaillent sur plusieurs projets pour le cinéma et la télévision. En 2017, il réalise The Skin We’re In, un documentaire basé sur le livre du même nom du journaliste canadien Desmond Cole. Un film fort qui lève le voile sur le racisme systémique au Canada. Puis, l’année suivante, il tourne Invisible Essence : The Little Prince, un documentaire sur le sens profond et l’héritage culturel du célèbre roman de l’écrivain français Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince. De 2020 à 2022, il réalise plusieurs épisodes des séries pour la télévision Coroner et The Porter, présentées sur les ondes de la CBC.

Le dernier film

En 2020, Charles Officer réalise son dernier film, un projet personnel intitulé Akilla’s Escape, qu’il avait commencé à écrire dès 2010. Le long métrage de fiction met en vedette le chanteur, poète, écrivain et acteur américain Saul Williams, qui a déjà collaboré avec Officer sur Le grand Jerome, en assurant la narration du documentaire. Akilla’s Escape raconte l’histoire d’Akilla, un trafiquant de drogue, maintenant retiré de toutes activités illégales, qui tente de sauver un jeune garçon, Sheppard, en l’empêchant de sombrer dans la criminalité. Le film navigue entre les efforts présents d’Akilla pour aider le garçon et son propre passé criminel, alors qu’il était un tout jeune homme à New York. Il est évident qu’Akilla se reconnaît dans le jeune qu’il tente de sauver. Le même comédien interprète d’ailleurs les rôles d’Akilla jeune et de Sheppard. Bien qu’il soit plus abouti, plus achevé, ce dernier long métrage d’Officer rappelle à plusieurs égards son premier, Nurse.Fighter.Boy. Le contexte est différent, mais les thèmes sont identiques. Le film se démarque par la force de son scénario, la vérité de ses personnages et l’interprétation puissante de Saul Williams. À voir!

Je vous invite à visionner Le grand Jerome et Notes d’espoir sur le site de l’ONF.

Les films Nurse.Fighter.Boy, The Skin We’re In, Invisible Essence: The Little Prince, Akilla’s Escape ainsi que les épisodes des séries Coroner et The Porter réalisés par Charles Officer sont accessibles en ligne sur le site et l’application CBC Gem.

Photo d’entête: Charles Officer pendant le tournage du film Le grand Jerome (2010) (Crédit: John Price)

[1] Traduction libre d’une citation rapportée dans un article du site de la CBC du 4 décembre 2023.