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Déployer ses ailes : conversation avec une jeune pilote du film L’envol

Déployer ses ailes : conversation avec une jeune pilote du film L’envol

Déployer ses ailes : conversation avec une jeune pilote du film L’envol

L’envol offre une rare vue de l’intérieur du camp de formation intensive auquel participent pendant sept semaines des Cadets de l’Aviation royale du Canada. Accompagnant un groupe d’adolescents et d’adolescentes de 17 ans sur le point de passer à l’âge adulte, la réalisatrice et scénariste Tess Girard filme la grâce avec laquelle les jeunes suivent sous la pression un programme qui dure habituellement de six à huit mois. La cinéaste s’entretient de la vie avant, pendant et après le film avec l’une de ses protagonistes, Emma Flanagan-Dellipizzi, qui étudie actuellement à la Canadian Flight Academy, à Toronto, en vue d’obtenir son brevet de pilote professionnelle.

L'envol, Tess Girard, offert par l'Office national du film du Canada

Décider de voler

Tess Girard : Quand j’ai demandé une bourse d’études pour devenir pilote d’avion, je ne savais pas vraiment si je voulais être pilote. Mais c’était une possibilité, et nombre de gens de mon entourage l’avaient fait avant moi. Je voulais relever un défi.

Emma, qu’est-ce qui t’a poussée à demander une telle bourse ?

Emma Flanagan-Dellipizzi : Moi non plus, je n’avais jamais imaginé devenir pilote. En grandissant, je n’ai pas vraiment été exposée à ce genre de réalité. Quand j’ai fait ma demande, je me disais plutôt : et pourquoi pas ? Quelques membres de mon escadron avaient participé au programme sans toutefois vraiment nous faire connaître leur expérience. Je ne savais donc pas à quoi m’attendre, et je n’avais pas prévu l’ampleur du défi à relever. Je ne comprenais pas réellement toute l’importance qu’aurait cette bourse. Ce que je savais, c’est que j’avais l’occasion d’obtenir gratuitement un brevet de pilote et que c’était une belle façon d’occuper mon été. Alors, oui, pourquoi pas ?

TG : Ça fait maintenant deux ans que tu as obtenu ton brevet. Que fais-tu maintenant ?

EFD : Récemment, j’ai décidé d’interrompre mes études universitaires pour me consacrer à temps plein à ma formation de pilote. Je m’emploie maintenant à décrocher mon brevet de pilote professionnelle d’ici la fin de l’année. Dès que je l’aurai, je commencerai ma formation pour devenir instructrice de vol.

TG : Dois-je comprendre que la boucle sera bouclée et que tu pourrais même éventuellement former les cadets du même programme ?

EFD : C’est tout à fait possible. J’ai la grande chance d’aider les cadets de mon ancien escadron à préparer leur examen d’entrée pour la bourse cette année. C’est fantastique de partager mes expériences et de redonner au programme de cette façon.

Les femmes aux commandes, en vol et au cinéma

TG : C’est formidable que tu persévères dans l’aviation et que tu continues à renvoyer l’ascenseur de cette manière. Même si je n’étais pas certaine de vouloir travailler dans le domaine, je suis contente d’avoir obtenu mon brevet. Je ne vole plus, mais l’expérience m’a donné la confiance nécessaire pour faire mon chemin dans un monde souvent très technique et risqué, où les femmes sont peu encouragées à s’aventurer. J’ai été forcée de me dépasser pour voir les choses d’un nouveau point de vue, des qualités qui me sont très utiles au cinéma.

Les efforts déployés pour obtenir ton brevet t’ont-ils changée ?

EFD : Réussir à un âge où l’on est si impressionnable a certainement façonné celle que je suis aujourd’hui. J’ai passé cet été-là à apprendre à tester mes propres limites et à gagner en confiance. Tout se résumait à prendre des risques et à me surpasser — sur le plan scolaire, physique et émotif. Plus important encore, j’ai eu l’occasion de vraiment devenir indépendante à titre de jeune femme.

TG : En travaillant dans un secteur où les femmes sont peu présentes, je remarque de plus en plus qu’être la seule dans la pièce joue sur mon expérience au quotidien. Dans ma famille, je suis entourée de femmes fortes qui me servent de modèles, mais le sexisme est une réalité omniprésente, peu importe la détermination d’une femme et les encouragements qu’elle reçoit. L’envol porte sur la formation en pilotage de jeunes des deux sexes, mais quand, pour mon premier repérage, j’ai été envoyée à un centre où il n’y avait que des hommes, j’ai su que le film ne se ferait pas s’il n’était pas ancré dans le point de vue des femmes.

Quand je vous ai rencontrées toutes les cinq, j’ai été frappée par votre force, votre persévérance, votre intelligence et votre perspicacité. Votre perception du monde est plus semblable à la mienne et au langage que je visais pour le film.

Quel effet ça t’a fait de compter parmi les cinq seules femmes du centre de vol ? Cela a-t-il ajouté de la pression ?

EFD : Tu comprends que tu entres dans un monde différent quand, en tant que femme, tu accèdes à un secteur où tu es minoritaire. Le programme de bourse d’études pour devenir pilote m’a initiée à cette réalité, et j’ai indéniablement senti la pression de ce nouveau monde. Dans l’ensemble, je m’estime incroyablement chanceuse parce que, même si n’étions que cinq, nous avons eu beaucoup de soutien de la part de nos collègues masculins, du centre de vol, de nos escadrons respectifs, de notre entourage, et surtout, nous nous sommes soutenues les unes les autres. C’est vrai que la pression n’était pas la même pour nous que pour n’importe qui d’autre, car le programme est très, très intensif. Et nous avons aussi vraiment senti la présence de personnes qui ne semblaient pas aussi confiantes dans nos capacités ou qui ne nous appuyaient pas. Comme jeune femme, ça me troublait — et même maintenant, je vis un peu la même chose.

Plafond de verre et zones neutres

TG : En tant que femmes, nous parlons des pressions mais, tant qu’on n’en a pas fait l’expérience personnelle, c’est difficile de comprendre ou d’expliquer exactement de quoi il s’agit. Par exemple, de mon point de vue de cinéaste, on me demande souvent si j’accomplis telle ou telle tâche de base (que je connais bien) pour la première fois ou si je fais un film d’étudiante. Ou encore, on met parfois en question mes connaissances techniques. Même si ça ne se passe pas comme ça tous les jours, ça ne manque pas d’accentuer la pression que je me mets moi-même pour m’améliorer. Si je maîtrise seulement 90 % d’une technique quelconque, je perçois les 10 % restants comme une lacune et je travaille inlassablement à la combler. Voudrais-tu nous donner des détails sur certaines formes de pression que tu as senties ou que tu sens maintenant ? Viennent-elles de toi ou de ton entourage ?

EFD : Je perçois plusieurs sources de pression externe, toutes différentes les unes des autres. Elles viennent de personnes qui ne croient manifestement pas en mes capacités, ou qui tentent de m’aider pour des tâches qui font partie de mon quotidien. Ça devient vite dévalorisant. C’est d’autant plus difficile pour moi et pour toutes les femmes qui s’efforcent d’atteindre leurs buts. Par contre, d’autres formes d’influence externe sont plus constructives — comme la pression que je sens de l’entourage qui me soutient et qui se réjouit d’avance de mes réussites. Ces deux types de pression externe m’incitent à exiger beaucoup de moi-même, à me dépasser, et me servent de motivation. Je ressens aussi le besoin de combler ce pourcentage manquant pour offrir le meilleur de moi-même. Je suis poussée à continuellement redoubler d’efforts et à corriger mes lacunes pour me prouver à moi-même et à ceux qui exercent un ascendant sur moi que je suis capable d’accomplir de grandes choses.

TG : Je tiens à souligner que j’ai constaté à quel point tu travailles fort ! Tu es l’une des personnes les plus intelligentes que je connaisse, et il n’y a guère eu de moments où tu ne tentais pas de « corriger tes lacunes ». Mais je pense que les liens forts qui se sont tissés entre les jeunes femmes du centre de vol ont créé un réseau de soutien tangible. Un des moyens grâce auxquels j’ai fait face aux pressions liées à ma condition de femme dans le monde du cinéma a été de trouver des réalisatrices solides pour être mes mentores. Cela n’a pas été possible jusqu’à ces dernières années, mais ça a été un véritable tournant pour moi. En retour, j’ai la ferme intention d’offrir un milieu de travail propice aux femmes qui m’entourent et à celles dont je me fais la mentore. On ne réalise pas à quel point c’est différent d’avoir une équipe de tournage majoritairement composée de femmes.

Selon toi, que pouvons-nous faire pour alléger les pressions exercées sur les femmes dans le domaine de l’aviation, pour les aider à s’accomplir ?

EFD : À mon avis, il est primordial de mettre en valeur les capacités et les talents des femmes dans des domaines comme les nôtres. C’est tellement précieux d’avoir de bonnes mentores qui inspirent les jeunes femmes pour qu’elles se dépassent et atteignent leurs buts. Toutefois — et ça peut sembler contradictoire —, je pense qu’il importe aussi de créer, pour les femmes dans le domaine de l’aviation, un milieu de travail où elles se sentent à l’aise, où leur présence devient la norme. Être la seule femme dans la salle et me sentir à ma place ont énormément favorisé ma confiance en moi récemment. Se sentir vraiment acceptée, c’est pouvoir soulever des montagnes. Et même si je suis égale à moi-même au travail et en formation, ce sentiment a largement contribué à mes succès.

TG : C’est tellement vrai ! Il ne s’agit pas de cloisonner les espaces, mais bien de trouver un équilibre entre les deux milieux pour créer un environnement propice aux deux. Les femmes sont capables de s’épanouir en travaillant tant avec les hommes qu’avec les femmes, et les hommes le peuvent aussi ! Quand je verrai un avion survoler mon quartier, je me demanderai si tu es aux commandes.

 

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