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L’Œuvre de Pierre Perrault en cinq volumes / Entretien avec Carol Faucher

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Au moment du lancement des quatre nouveaux coffrets de L’Œuvre de Pierre Perrault pour souligner le 10e anniversaire de son décès, j’ai rencontré Carol Faucher, qui connaît bien son œuvre. Après avoir présidé pendant de nombreuses années le Comité du programme du Programme français, Carol Faucher est maintenant analyste à la conservation et responsable de La collection Mémoire de l’ONF. Son regard sur l’homme et son point de vue guideront l’entrevue.

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Carol Faucher

Qu’est-ce qui est à l’origine de l’œuvre cinématographique de Pierre Perrault?

 Pierre Perrault est un Montréalais né en 1927. Il a étudié le droit à Montréal, Toronto et Paris. Alors qu’il est encore étudiant, il découvre la région de Charlevoix, grâce à Yolande Simard, qui deviendra son épouse. Ce qu’il découvre l’intéresse au plus haut point; le passionne. Baie-Saint-Paul. L’Île-aux-Coudres…Voilà un peuple de marins, de navigateurs, d’agriculteurs, d’artisans ancrés sur la rive du Saint-Laurent depuis la Nouvelle-France, avec ses traditions, son langage, dont il n’a jamais entendu parler dans la littérature et dans les manuels d’histoire…. et qui sera au départ de toute son aventure de poète et de cinéaste. Une aventure fondée sur le vécu et la parole vivante. Cette découverte de la culture orale est capitale pour Pierre Perrault.

Peu motivé par la pratique du droit, il quitte bientôt les bureaux d’avocats de la rue Saint-Jacques pour Radio-Canada, où il produira des textes pour la radio. C’est ainsi qu’il sera amené à travailler avec Jacques Douai, que l’on connaîtra aussi comme chansonnier venu de France, avec qui il réalisera une série d’émissions sur les fleuves de France. Ils ont entre les mains une abondante documentation qu’ils trouvent en bibliothèque et dans les textes des chansons du terroir français.

Cette série suggérera à Pierre Perrault d’entreprendre une série sur le Saint-Laurent. Mais il ne trouve pas de documentation en bibliothèque sur son fleuve, sauf deux ouvrages, dont le Récit des navigations en Canada de Jacques Cartier. Il partira armé d’un magnétophone recueillir la parole des gens dans les villages et les havres des côtes du fleuve.  De là naîtra une série radiophonique intitulée  Au  pays de Neufve-France, laquelle deviendra plus tard la série de 13 courts métrages diffusée en 1960 à la télévision de Radio-Canada et à la CBC (sous le titre St. Lawrence North).Elle sera produite par Crawley Films (Ottawa) et réalisée par René Bonnière, mais Perrault qui ne connaît pas encore le cinéma en a été le principal artisan. Il écrira aussi les textes de la narration – le cinéma direct n’existe à peu près pas au moment du tournage de ces films. C’est l’ONF qui est aujourd’hui le distributeur de ces films.

Pierre Perrault avait un projet de faire un film « sur la pêche  à marsouins », une pèche tout à fait originale dont il avait entendu parler, mais que les gens de l’Île-aux-Coudres avaient délaissé depuis près de 40 ans. Ce projet l’amena à l’Office national du film où il rencontra Michel Brault et Marcel Carrière avec qui il entreprit le tournage de Pour la suite du monde, en octobre 1961, et de janvier à juillet 1962.Le film fut terminé en 1963 et présenté au Festival de Cannes. Il fut suivi de deux autres films qui allaient devenir l’incontournable Trilogie de l’Île-aux-Coudres, soit  Le règne du jour, terminé en 1967, et Les voitures d’eau, terminé en 1968.

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Pour la suite du monde

Pourquoi le fleuve est-il un thème récurrent dans l’œuvre de Perrault?

 Le fleuve est emblématique dans l’œuvre de Perrault. Tout a commencé par le fleuve pour lui; comme pour le pays, d’ailleurs. Il dira du fleuve, et je le cite, que c’est « le chemin des découvrances,  des navigations, des pénétrations ». La Conquête s’est faite aussi par le fleuve. C’est sur les bords du Saint-Laurent, où vivent des communautés amérindiennes, que le pays est né, que le pays a été habité en premier.

 Dans les écrits de Jacques Cartier,  Perrault découvre non seulement  le compte rendu d’un navigateur consciencieux qui fait le récit de son voyage, mais aussi, à ses yeux, un poète qui s’émerveille de ce qu’il voit, qui donne des noms aux endroits où il passe, où il s’arrête. Ses descriptions n’ont bien souvent rien à voir avec le but de sa mission qui est de chercher la route des Indes pour le roi de France.

 Le cinéaste Pierre Perrault, il ne faut pas l’oublier, est aussi un poète. C’est un amoureux de la langue. Quand il découvre le peuple des côtes du fleuve avec ses traditions, un peuple de cultivateurs, de marins et de navigateurs avec son langage forgé par les traditions, par les métiers de la nécessité et les rapports qu’il entretient avec son environnement pour sa vie, pour sa survie, c’est, pour Perrault, le coup de foudre!

 Voilà un peuple avec toute une culture, une culture très riche, avec ses tradition et ses savoirs qui se transmettent oralement, par le vécu,  et dont on ne parle pas dans la littérature ni dans nos manuels d’histoire.  Perrault qui a été séduit par les descriptions de Cartier, est aussi séduit par la langue,… pourrait-on dire le langage… de ces gens ancrés depuis des siècles sur les bords du fleuve. Il dira :  « Il y a quand même un présent du fleuve qui n’est pas le fleuve de Cartier. C’est un présent qu’il faudrait mettre au monde et c’est le mandat que je me suis donné. »

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 N’oublions pas qu’on est à la fin des années 50, et au début des années 60, dans le creuset de La Révolution tranquille, une période, pour le Québec, d’intenses bouleversements et d’affirmation nationale dans les institutions et l’économie. 

 Les trois films tournés à l’Île-aux-Coudres,  sortis respectivement en 1963, 1967 et 1968, Pour la suite du monde, Le règne du jour et Les voitures d’eau,  cette île du fleuve que Cartier a lui-même nommé île aux Coudres, reflètent admirablement bien toute la problématique de cette époque. Dans le troisième film, Les voitures d’eau, on  fait le constat de la fin de l’époque des goélettes, ces bateaux qui étaient au centre de l’économie du fleuve,  avec l’arrivée des grands bateaux de fer pour le transport des marchandises. La vie va changer tant pour les constructeurs de goélettes, les navigateurs que pour  les populations riveraines. 

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Les voitures d’eau

Le fleuve, c’est le vécu, à l’image du pays. La métaphore du pays à reconquérir, du pays à renommer, en lui proposant même un imaginaire à partir de la réalité. Perrault parcourra tous les territoires du Québec, mais il reviendra toujours au fleuve. Son œuvre littéraire et poétique, comme son œuvre cinématographique est profondément marquée et inspirée par le fleuve. 

La série de 13 films Au pays de Neufve-France, dont il fut le principal artisan, a été entièrement tournée sur la côte nord du fleuve. On trouvera quatre de ces films dans les coffrets Volume 4 (L’homme et la nature) et Volume 5 (Le fleuve).

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 Ce coffret justement intitulé Le fleuve contient les films Les voiles bas et en travers (1983) ainsi que La grande allure – première partie, et La grande allure – deuxième partie (1986). Le premier,  tourné à Saint-Malo en Bretagne, au pays de Jacques Cartier, est déjà orienté vers le fleuve. Les deux autres voguent sur les traces de Cartier de Saint Malo à Québec, sur un voilier qui va refaire le parcours de Cartier.

Perrault rêvait de faire un grand film sur le fleuve qui ferait la synthèse de son expérience et de sa vision du fleuve.  Il a déjà écrit à propos de ce projet : « … mais comment décrire avec des métaphores la métaphore elle-même? »  Il disait ne pas avoir réussi et que le fleuve était trop grand pour lui. Et pourtant on verra, dans ses films et dans ses écrits, apparaître ce fleuve avec sa vie, sa poésie et son imaginaire. Le fleuve, c’est la voie royale de son œuvre.

 À lire vendredi prochain la deuxième partie de cet entretien. Carol Faucher nous dira pourquoi l’œuvre de Perrault est encore tellement d’actualité.

En attendant, Carol Faucher vous propose un essai poétique de Perrault sur le fleuve : Le visage humain d’un fleuve sans estuaire

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